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la plage de Robinson - Page 8

  • confinement: jour 3

    confinement, jour 3 (vendredi 20/3). c'est vendredi. Habituellement l'ange qui est chargé de moi depuis si longtemps et que mon amour a investi depuis ce premier jour de notre rencontre dans un escalier en bois d'une maison de Toulon, mon ange, donc, est à mes cotés. Habituellement, je me laisse asticoter par elle pour rendre des menus services, ceux-là même qu'on refait chaque jour et que l'on croit chaque jour inutile et éreintant: balayer la maison, laver le carreau, nettoyer les vitres, étendre le linge, ramasser ceci et ramasser cela (des affaires et des objets qui reprendront leur place quelques heures plus tard, ou quelques jours, ça dépend des humeurs), et, le plus important, aller faire les courses, avant midi bien-sûr, car tout doit être prêt pour le repas de shabbat... Mais là, je suis seul dans ma yourte. J'ai donc balayé les grains de sable que le vent pernicieux s'amuse à glisser sous la porte, j'ai même aspiré ceux qui s'étaient cachés dans les rainures du parquet. J'ai lavé le vitres. J'ai curé le cul de la seule casserole qui me nargue depuis son étagère, tout en surveillant les allées et venues des filles du bédouin dans les dunes alentour, et les rondes silencieuses des aigles au-dessus des troupeaux.

    La pluie est arrivée après que le soleil se soit enfui derrière les collines. Des gouttes disparates qui tambourinent sur la toile de la yourte, un murmure apaisant qui me renvoie à mon enfance, quand nous campions sous la tente en été et que l'orage de la montagne éclatait le soir, nous effrayant de ses éclairs, puis de ses tonnerres, puis de ces gouttes qui ploquaient sur la tente, nous endormant finalement en suçant nos pouces...

    L’image contient peut-être : ciel, crépuscule, montagne, plein air et nature
  • confinement: jour 2

    Le vent s'est levé, froid, agressif. Il fait trembler la toile de la yourte, j'ai l'impression de vivre dans un bateau... Ce matin, les filles bédouines ont accompagné les troupeaux autour de mon champ de vision. Sous les robes longues et noires, et derrière leur voile qui dérobe leur yeux à la vue, je devine des silhouettes fines et altières, habituées à marcher tout le jour. Je m'évade un instant dans un univers sans histoire, revenant au temps des fils d'Israel, aux troupeaux de Laban, aux pérégrinations nomades qui ont passé par ici trois mille ans avant moi. Elles se sont assises sur le dos d'une dune, elles rassemblent un peu de bois et sortent de leur sac une casserole, font du café. Je les observe de loin tapi derrière ma fenêtre avec mes jumelles. Elles se parlent mais je n'entends rien. Elles ont des gestes gracieux pour se montrer avec les mains ce que les mots ne peuvent pas dire, on dirait des chorégraphies délicates qui jouent avec le vent, une danse minuscule au milieu des agneaux qui les entourent... le rêve s'évanouit d'un coup: elles ont des chaussures Nike et elles ont sorti leur portable ...

    Loin d'ici, dans un hôpital inconnu, un ami vit ses derniers instants. Seul son fils l'accompagne et reste près de lui. Les sédatifs l'ont déjà arraché à la conscience et seule son âme pourrait sentir que nous sommes tous à ses cotés pour ce voyage. Le vent s'apaisera un moment lorsqu'il mourra, ce sera le signe, peut-être, pour me rappeler que nos vies sont éphémères mais précieuses, et nos âmes sensibles aux autres.

    Voilà, le soleil a disparu, il laisse un ciel blafard. Il doit y avoir un mariage bédouin au loin, des bribes de musique arrivent jusqu'ici, comme des lambeaux de bonheur que le vent transporte et parsème avec le sable. J'ai regardé les fleurs qui persistent à résister dans la rocaille, elles sont belles, humbles et vaillantes, elles feront avec audace les graines pour l'année prochaine que le sable cachera des chaleurs et de la sécheresse...

  • confinement: jour 1

    Après avoir survolé la moitié de la planète, me voilà au bout du monde. Autour de ma yourte, les rapaces font leur ronde dans le soleil, les agneaux nomades courent après leur mère en bêlant, et la fille du bédouin arrache les branches mortes sur les arbustes et les entasse dans les fontes de son âne. Il a plu hier, c'est pas commun ici. Le vent montre avec indécence les étamines noires des tulipes sauvages, il soulève leur robe carmine inversée, comme des tutus de danseuses immobiles et secrètes. je fais l'inventaire de la création qui m'entoure, comme si demain tout disparaissait...

  • Le sage

    "Tout est obscur, mon bon maître.

    A peine si l'on voit à l'horizon un chapelet se dandiner au bout des doigts d'un sage en prière.

    Non, mon bon maître, je ne vois pas à quoi il ressemble. Il porte un habit de sage, et des sandales de désert. Il a fermé les yeux et je vois ses lèvres remuer.

    Non, mon bon maître, je ne reconnais pas son langage, ce pourrait être de l'hébreu, de l'araméen, du farsi ou même de l'arabe, et, pourquoi pas du latin ou du sanscrit, à moins que ce soit la langue de Tao-Tseu ou celle de Hiroshi.

    La seule chose que je sais, c'est que ses yeux sont fermés, que les grains d'ambre défilent sous ses doigts, et que ses lèvres bougent. "


    mémoires d'un pélerin . Les Noces d'Algie, Neguev, 1953.

  • le pardon, et demain l'oubli.

    Demander pardon c'est une chose, mais pardonner c'est aussi un acte d'amour.

    Oublier les fautes qu'on nous a fait est la troisième phase, conséquente aux deux autres.

    Demain j'aurai oublié tous ces jours où l'on ne m'a pas dit bonjour ou s'il te plait, j'oublierai qu'on m'a oublié, j'oublierai qu'on a détruit mon travail, qu'on a jeté ce que j'aimais, qu'on a insulté celles et ceux que j'aime, j'oublierai ceux et celles qui ont trahi mes paroles, qui se sont servi de mes mots pour me faire mal, qui ont menti devant mon témoignage, qui ne m'ont pas honoré dans ce que je suis, étranger, collègue, ami, époux, père, grand-père, j'oublierai ceux qui ont volé mes biens, qui ont spolié mes droits.

    Et si tout cela est pardonné, alors qu'on me pardonne les mêmes actes, les mêmes paroles, que j'ai pu dire ou faire autour de moi.

  • 20 septembre 2018

    La frontière entre les êtres vivants différents est souvent un élément latent de changement d’état .
    L’eau
    L’air
    La masse

    Pour les êtres semblables, rien d’autre que les flux sensibles.


    Pablo Robinson

  • Epitaphe pour son père


    Pour une fille, son père c'est un dieu.
    Comme un dieu elle pourrait le haïr, l’aimer, le craindre, l’adorer.
    Comme un dieu elle le prie, au matin, petite, de la protéger et de la chérir.
    Comme un dieu elle le prie, au soir, de veiller sur sa nuit,
    Et aux instants de terreur qui viennent, elle se blottit dans ses bras.

    Puis le temps s’allonge, et avec lui le temps de soi.
    La prière devient monotone, l’espérance s’amenuise avec l’habitude d’être comblée, et aux yeux viennent des cernes de lassitude. Ce père-là elle le connait, elle a embrassé ses joues, elle a touché son front, et ses mains aussi elle les connait, elles sont douces dedans et fanées dehors, ce sont les mains de son père, des mains plus vieilles que les siennes. Et le bruit de ses souliers au soir, elle a pris l’habitude, quand il rentre, de l’oublier.

    Et puis la vie est devenue une histoire. Et ses pas de fille sont devenus des pas de femme, qui savent où elle va, ce qu’elle fait, seule, sans son dieu de père, sans sa présence silencieuse et attentive. Et elle, la femme, éloignée, elle a fait sa vie de femme, et sa vie de mère. Son père, comme un dieu, est devenu absent, lointain, paternel, puis grand-père. Il ne mêle plus son bruit d’homme aux bruits de la maison, il est présent à son cœur comme ce dieu auquel elle pense quand la rumeur devient silence, ou lorsque son regard dépasse l’horizon des montagnes. Elle le recouvre d’une tendresse personnelle qui s’éveille à sa mémoire, aux pointillés des photos de famille.

    Et voilà qu’un jour, tout ce qui faisait ce pourquoi elle l’avait tenu pour dieu s’écroule. L’immortalité s’est évanouie en lisant le télégramme, la lueur flammée de son souvenir s’est flétrie à la voix dans le téléphone. Elle se surprend à contempler le gouffre, puis surgit en elle une nuit rosée de tristesse, avant que viennent les regrets, parfois les remords. La verticalité qui la tenait à lui depuis l’enfance vacille, et elle ne sait pas pourquoi.

    De petite fille tout-à-coup elle devient grand-mère, et elle passe du cri de haine à la mort à l’essoufflé d’un murmure, bredouillé dans une prière maladroite, dans l’atmosphère froide d’un espace destiné à l’Eternel. Et là les mots qu’elle n'a pas dit se forment à ses lèvres, les baisers qu’elle n'a pas donnés, les soupes qui n’ont pas été partagées , ces soirs où il était si loin, si seul, si sans elle, et elle, elle n’imaginait pas ce vide, parce qu’elle le comblait comme elle pouvait, en occupant le temps.

    Mais lui, il savait déjà que le temps prenait son temps, il le savait sans rien dire, sans rien précipiter, il laissait venir…

    Aux aubes froides il faudra qu'elle attende que le soleil la réchauffe pour qu'elle déplie l’absence nouvelle, qu'elle tâche d’accrocher sur elle l’abandon de sa vie, le porter à son front en une ride nouvelle : les autres verront bien l’orpheline qu'elle devient, et ce qu’elle porte à son tour dans son âme. Ce sera sa fierté, son honneur, car ces mots que son père avait gravé sur son âme sont ceux que d’autres avant lui avaient tracés sur la sienne. Elle y ajoutera d’autres mots, courage, espérance, force peut-être, et ces mots seront transmis à leur tour, plus tard à ses enfants…


    ©Dominique.Bruch-02/2014

  • De ces aubes qui transfigurent

     

    blackberry barbade 005.jpgVoici l'aube.

    Une comme tant d'autres. 21 900 pour être exact.

    Qu'est-ce qui pourrait bien lui donner une allure particulière, à celle-ci ?

    Si le calendrier n'existait pas, elle serait pareille à toutes les autres.

    Si je ne savais pas compter, elle serait aussi magique que celle d'hier.

    Et j'en ai vu sous toutes les latitudes, toutes les altitudes, toutes les longitudes.

     

    Celles du Désert du Sinaï qui enrobent le ciel des pourpres qui se déclinent doucement vers le jaune flamboyant du début du monde.

    Les aurores grises et profondes du nord, où le soleil passe derrière les nuages en boule blanche, discrète et froide, parfois miraculeusement traversées d'un arc-en-ciel surprenant.

    Les aurores enrobées de tintements de cloches et d'appels à la prière, sous le ciel purifié de Jérusalem.

    Les aurores bruyantes des déferlantes au large, au sel baptismal à la bouche comme une naissance lavée.

    Les aurores de solitude dans le silence du Sahara, avec le chuintement du vent à la dune, comme un appel à la sentinelle qu'aurait décrit Saint Exupéry.

     

    Et mes aurores tout autour de la Terre, enveloppé dans mon avion, à vingt mille mètres d'altitude, cap vers la lueur levante qui deviendra bientôt lumière fulgurante dans la stratosphère.

    Comment oublier les aurores des nuits d'amour, toutes brumeuses de la tendresse reçue, des gestes partagés, des danses de nos corps nus et glissants dans la moiteur de la nuit ?

    Et les aubes andines, quand le soleil apparaît dans un horizon improbable, à l'autre bout de la terre, dans des déclinés de couleurs fantastiques ?

     

    L'aube de ce matin traversait les feuilles luisantes de la pluie nocturne.

    Les grenouilles finissaient leur mélopée commencée au soir.

    Les perroquets traversaient le ciel gris de leur vol malhabile en criant.

    Je me sentais seul et pourtant tout était autour de moi comme une création renouvelée, comme une béatitude.

     

    Tous ceux que j'aime ont défilé dans mon esprit, ont partagé cet instant qui transfigure et mêle à notre vie les parfums des liens retrouvés. 

     

  • Le poker menteur qui va détruire le monde

    Je me souviens d'une séance onusienne où un Collins Powell  secouait une petite fiole sous l'objectif des caméras, en guise de "preuve" de la présence d'armes de destruction massive en Irak, prélude à une guerre qui dure depuis 10 ans (plus longue déjà que la deuxième guerre mondiale !!! ), construite sur la base d'un mensonge (puisque toutes les missions onusiennes ont conclu leurs enquêtes sur le fait que ces armes n'existaient pas à l'époque !!! ) et génératrice quotidiennement de plus de morts (dont la plupart innocents) que les "exactions" du vilain Saddam Hussein...

    Des armes chimiques sont actuellement utilisées en Syrie (ne nous voilons pas la face, c'est - cette fois-ci - une réalité ). Elle le sont par quelqu'un, mais personne ne peut (ou ne veut) prouver par qui ... Cette interrogation sert les intérêts de tous ceux qui croient qu'une bonne guerre mondiale va effacer le méchant tableau rouge des dettes monstrueuses de l'occident (France comprise!! ), et remettre les pendules à l'heure en justifiant quelques millions de morts, qui seront - espèrent-ils - autant de chômeurs de moins ...

    Les "soutiens occidentaux" aux révolutions (guerres civiles en français) "arabes" ont montré qu'ils ont été facteurs de chaos, aucun pays concerné n'ayant amélioré ni son PIB, si sa sécurité, ni la paix intérieure en bénéficiant des aides militaires occidentales: Afghanistan, Pakistan, Irak, Egypte, Tunisie, Lybie, sans parler de ceux dont on ne parle jamais et dans lesquels la contestation anti-religieuse ou anti-laïque (c'est selon, mais c'est la même chose) est rapidement "soignée" à coup de flingues, enlèvements, meurtres et autres actions rapides et définitives...(je vous laisse deviner de quels pays il s'agit...)

    La moutarde (jeu de mot insipide pour aborder les armes chimiques du même nom) monte au nez des va-t-en-guerre, et nous pourrions nous retrouver sans l'avoir choisi (voté, par exemple) embarqués dans un bourbier merdeux et terriblement mortel, au prétexte que nos "grands" ont choisi la pire des solutions pour balancer nos poussières (dette, instabilité sociale grandissante, monnaie chancelante, croissance nulle, chômage etc... ) sous le tapis vert d'un "wargame" de salon... 

    Je rêve que je me trompe complètement, et que tout ça n'est qu'un cauchemar qui commence... 

    Mais mon petit doigt me dit ...

  • l'odeur de la guerre

    bombe tranchée.jpgLéon. Les civils, ils n'ont pas idée de ce que c'est, l'odeur de la guerre. Au début, sur le front, ça me faisait vomir tout le temps, je pouvais rien avaler. Et puis la faim s'y est collée, l'a bien fallu manger quand même, la soupe froide et les fayots mal cuits.

     La terre, quand elle se fait violer par les obus qui la pénêtrent en profondeur sur 2 ou 3 mètres et qui explosent au milieu des pauvres types qui s'envolent avec de la mitraille plantée dans leur corps, elle lâche cette odeur de tripes fraîches, la même qu'on sent quand on vide les lapins à la ferme.

    Plus tard, dans la brume, à la nuit ou à l'aurore, d'autres odeurs viennent braver nos narines. Celles des cadavres qui se décomposent, qui se mélangent à celle de la poudre refroidie.

    Cette saloperie te colle à la peau, elle se met dans ta chemise comme une mauvaise maladie, et elle te brûle comme un feu. Après quelques jours, tu n'y penses plus, et, comme chez nous, elle t'accompagne comme les morpions qui ne vont pas tarder à te bouffer...

    Seule consolation: les alboches en face, ils endurent autant que nous, mais sans pinard. Ben voui, mon Léon, le pinard c'est ce qui nous sauve, comme le tafia qu'on nous fait boire avant l'assaut, bien à jeun pour qu'on soit saouls plus vite, pour qu'on ne sente plus rien, ni odeur ni douleur, ni compassion, ni pour nous-mêmes ni pour les autres ...

    Courage, frère d'arme, t'oublieras jamais ce moment-là, mais tu seras consolé, si on s'en sort, par ta petite femme chérie ...

    (Robinson, tranchées de la Somme, avril 1915)

    https://www.facebook.com/photo.php?fbid=164223900404108&set=a.151043021722196.1073741826.151041275055704&type=1#!/leon1914