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la plage de Robinson - Page 8

  • confinement: jour 1

    Après avoir survolé la moitié de la planète, me voilà au bout du monde. Autour de ma yourte, les rapaces font leur ronde dans le soleil, les agneaux nomades courent après leur mère en bêlant, et la fille du bédouin arrache les branches mortes sur les arbustes et les entasse dans les fontes de son âne. Il a plu hier, c'est pas commun ici. Le vent montre avec indécence les étamines noires des tulipes sauvages, il soulève leur robe carmine inversée, comme des tutus de danseuses immobiles et secrètes. je fais l'inventaire de la création qui m'entoure, comme si demain tout disparaissait...

  • Le sage

    "Tout est obscur, mon bon maître.

    A peine si l'on voit à l'horizon un chapelet se dandiner au bout des doigts d'un sage en prière.

    Non, mon bon maître, je ne vois pas à quoi il ressemble. Il porte un habit de sage, et des sandales de désert. Il a fermé les yeux et je vois ses lèvres remuer.

    Non, mon bon maître, je ne reconnais pas son langage, ce pourrait être de l'hébreu, de l'araméen, du farsi ou même de l'arabe, et, pourquoi pas du latin ou du sanscrit, à moins que ce soit la langue de Tao-Tseu ou celle de Hiroshi.

    La seule chose que je sais, c'est que ses yeux sont fermés, que les grains d'ambre défilent sous ses doigts, et que ses lèvres bougent. "


    mémoires d'un pélerin . Les Noces d'Algie, Neguev, 1953.

  • le pardon, et demain l'oubli.

    Demander pardon c'est une chose, mais pardonner c'est aussi un acte d'amour.

    Oublier les fautes qu'on nous a fait est la troisième phase, conséquente aux deux autres.

    Demain j'aurai oublié tous ces jours où l'on ne m'a pas dit bonjour ou s'il te plait, j'oublierai qu'on m'a oublié, j'oublierai qu'on a détruit mon travail, qu'on a jeté ce que j'aimais, qu'on a insulté celles et ceux que j'aime, j'oublierai ceux et celles qui ont trahi mes paroles, qui se sont servi de mes mots pour me faire mal, qui ont menti devant mon témoignage, qui ne m'ont pas honoré dans ce que je suis, étranger, collègue, ami, époux, père, grand-père, j'oublierai ceux qui ont volé mes biens, qui ont spolié mes droits.

    Et si tout cela est pardonné, alors qu'on me pardonne les mêmes actes, les mêmes paroles, que j'ai pu dire ou faire autour de moi.

  • 20 septembre 2018

    La frontière entre les êtres vivants différents est souvent un élément latent de changement d’état .
    L’eau
    L’air
    La masse

    Pour les êtres semblables, rien d’autre que les flux sensibles.


    Pablo Robinson

  • Epitaphe pour son père


    Pour une fille, son père c'est un dieu.
    Comme un dieu elle pourrait le haïr, l’aimer, le craindre, l’adorer.
    Comme un dieu elle le prie, au matin, petite, de la protéger et de la chérir.
    Comme un dieu elle le prie, au soir, de veiller sur sa nuit,
    Et aux instants de terreur qui viennent, elle se blottit dans ses bras.

    Puis le temps s’allonge, et avec lui le temps de soi.
    La prière devient monotone, l’espérance s’amenuise avec l’habitude d’être comblée, et aux yeux viennent des cernes de lassitude. Ce père-là elle le connait, elle a embrassé ses joues, elle a touché son front, et ses mains aussi elle les connait, elles sont douces dedans et fanées dehors, ce sont les mains de son père, des mains plus vieilles que les siennes. Et le bruit de ses souliers au soir, elle a pris l’habitude, quand il rentre, de l’oublier.

    Et puis la vie est devenue une histoire. Et ses pas de fille sont devenus des pas de femme, qui savent où elle va, ce qu’elle fait, seule, sans son dieu de père, sans sa présence silencieuse et attentive. Et elle, la femme, éloignée, elle a fait sa vie de femme, et sa vie de mère. Son père, comme un dieu, est devenu absent, lointain, paternel, puis grand-père. Il ne mêle plus son bruit d’homme aux bruits de la maison, il est présent à son cœur comme ce dieu auquel elle pense quand la rumeur devient silence, ou lorsque son regard dépasse l’horizon des montagnes. Elle le recouvre d’une tendresse personnelle qui s’éveille à sa mémoire, aux pointillés des photos de famille.

    Et voilà qu’un jour, tout ce qui faisait ce pourquoi elle l’avait tenu pour dieu s’écroule. L’immortalité s’est évanouie en lisant le télégramme, la lueur flammée de son souvenir s’est flétrie à la voix dans le téléphone. Elle se surprend à contempler le gouffre, puis surgit en elle une nuit rosée de tristesse, avant que viennent les regrets, parfois les remords. La verticalité qui la tenait à lui depuis l’enfance vacille, et elle ne sait pas pourquoi.

    De petite fille tout-à-coup elle devient grand-mère, et elle passe du cri de haine à la mort à l’essoufflé d’un murmure, bredouillé dans une prière maladroite, dans l’atmosphère froide d’un espace destiné à l’Eternel. Et là les mots qu’elle n'a pas dit se forment à ses lèvres, les baisers qu’elle n'a pas donnés, les soupes qui n’ont pas été partagées , ces soirs où il était si loin, si seul, si sans elle, et elle, elle n’imaginait pas ce vide, parce qu’elle le comblait comme elle pouvait, en occupant le temps.

    Mais lui, il savait déjà que le temps prenait son temps, il le savait sans rien dire, sans rien précipiter, il laissait venir…

    Aux aubes froides il faudra attendre que le soleil réchauffe pour qu'elle déplie l’absence nouvelle, qu'elle tâche d’accrocher sur elle l’abandon de sa vie, le porter à son front en une ride nouvelle : les autres verront bien l’orpheline et le bâton transmis qu’elle porte à son tour pour que les petits s’y appuient, ce sera sa fierté, son honneur, car son père y avait gravé des noms que d’autres avant lui avaient tracés au bois vertical. Elle y ajoutera d’autres mots, courage, espérance, force peut-être, et cette crosse ancestrale sera transmise à son tour, plus tard…

    ©Dominique.Bruch-02/2014

  • De ces aubes qui transfigurent

     

    blackberry barbade 005.jpgVoici l'aube.

    Une comme tant d'autres. 21 900 pour être exact.

    Qu'est-ce qui pourrait bien lui donner une allure particulière, à celle-ci ?

    Si le calendrier n'existait pas, elle serait pareille à toutes les autres.

    Si je ne savais pas compter, elle serait aussi magique que celle d'hier.

    Et j'en ai vu sous toutes les latitudes, toutes les altitudes, toutes les longitudes.

     

    Celles du Désert du Sinaï qui enrobent le ciel des pourpres qui se déclinent doucement vers le jaune flamboyant du début du monde.

    Les aurores grises et profondes du nord, où le soleil passe derrière les nuages en boule blanche, discrète et froide, parfois miraculeusement traversées d'un arc-en-ciel surprenant.

    Les aurores enrobées de tintements de cloches et d'appels à la prière, sous le ciel purifié de Jérusalem.

    Les aurores bruyantes des déferlantes au large, au sel baptismal à la bouche comme une naissance lavée.

    Les aurores de solitude dans le silence du Sahara, avec le chuintement du vent à la dune, comme un appel à la sentinelle qu'aurait décrit Saint Exupéry.

     

    Et mes aurores tout autour de la Terre, enveloppé dans mon avion, à vingt mille mètres d'altitude, cap vers la lueur levante qui deviendra bientôt lumière fulgurante dans la stratosphère.

    Comment oublier les aurores des nuits d'amour, toutes brumeuses de la tendresse reçue, des gestes partagés, des danses de nos corps nus et glissants dans la moiteur de la nuit ?

    Et les aubes andines, quand le soleil apparaît dans un horizon improbable, à l'autre bout de la terre, dans des déclinés de couleurs fantastiques ?

     

    L'aube de ce matin traversait les feuilles luisantes de la pluie nocturne.

    Les grenouilles finissaient leur mélopée commencée au soir.

    Les perroquets traversaient le ciel gris de leur vol malhabile en criant.

    Je me sentais seul et pourtant tout était autour de moi comme une création renouvelée, comme une béatitude.

     

    Tous ceux que j'aime ont défilé dans mon esprit, ont partagé cet instant qui transfigure et mêle à notre vie les parfums des liens retrouvés. 

     

  • Le poker menteur qui va détruire le monde

    Je me souviens d'une séance onusienne où un Collins Powell  secouait une petite fiole sous l'objectif des caméras, en guise de "preuve" de la présence d'armes de destruction massive en Irak, prélude à une guerre qui dure depuis 10 ans (plus longue déjà que la deuxième guerre mondiale !!! ), construite sur la base d'un mensonge (puisque toutes les missions onusiennes ont conclu leurs enquêtes sur le fait que ces armes n'existaient pas à l'époque !!! ) et génératrice quotidiennement de plus de morts (dont la plupart innocents) que les "exactions" du vilain Saddam Hussein...

    Des armes chimiques sont actuellement utilisées en Syrie (ne nous voilons pas la face, c'est - cette fois-ci - une réalité ). Elle le sont par quelqu'un, mais personne ne peut (ou ne veut) prouver par qui ... Cette interrogation sert les intérêts de tous ceux qui croient qu'une bonne guerre mondiale va effacer le méchant tableau rouge des dettes monstrueuses de l'occident (France comprise!! ), et remettre les pendules à l'heure en justifiant quelques millions de morts, qui seront - espèrent-ils - autant de chômeurs de moins ...

    Les "soutiens occidentaux" aux révolutions (guerres civiles en français) "arabes" ont montré qu'ils ont été facteurs de chaos, aucun pays concerné n'ayant amélioré ni son PIB, si sa sécurité, ni la paix intérieure en bénéficiant des aides militaires occidentales: Afghanistan, Pakistan, Irak, Egypte, Tunisie, Lybie, sans parler de ceux dont on ne parle jamais et dans lesquels la contestation anti-religieuse ou anti-laïque (c'est selon, mais c'est la même chose) est rapidement "soignée" à coup de flingues, enlèvements, meurtres et autres actions rapides et définitives...(je vous laisse deviner de quels pays il s'agit...)

    La moutarde (jeu de mot insipide pour aborder les armes chimiques du même nom) monte au nez des va-t-en-guerre, et nous pourrions nous retrouver sans l'avoir choisi (voté, par exemple) embarqués dans un bourbier merdeux et terriblement mortel, au prétexte que nos "grands" ont choisi la pire des solutions pour balancer nos poussières (dette, instabilité sociale grandissante, monnaie chancelante, croissance nulle, chômage etc... ) sous le tapis vert d'un "wargame" de salon... 

    Je rêve que je me trompe complètement, et que tout ça n'est qu'un cauchemar qui commence... 

    Mais mon petit doigt me dit ...

  • l'odeur de la guerre

    bombe tranchée.jpgLéon. Les civils, ils n'ont pas idée de ce que c'est, l'odeur de la guerre. Au début, sur le front, ça me faisait vomir tout le temps, je pouvais rien avaler. Et puis la faim s'y est collée, l'a bien fallu manger quand même, la soupe froide et les fayots mal cuits.

     La terre, quand elle se fait violer par les obus qui la pénêtrent en profondeur sur 2 ou 3 mètres et qui explosent au milieu des pauvres types qui s'envolent avec de la mitraille plantée dans leur corps, elle lâche cette odeur de tripes fraîches, la même qu'on sent quand on vide les lapins à la ferme.

    Plus tard, dans la brume, à la nuit ou à l'aurore, d'autres odeurs viennent braver nos narines. Celles des cadavres qui se décomposent, qui se mélangent à celle de la poudre refroidie.

    Cette saloperie te colle à la peau, elle se met dans ta chemise comme une mauvaise maladie, et elle te brûle comme un feu. Après quelques jours, tu n'y penses plus, et, comme chez nous, elle t'accompagne comme les morpions qui ne vont pas tarder à te bouffer...

    Seule consolation: les alboches en face, ils endurent autant que nous, mais sans pinard. Ben voui, mon Léon, le pinard c'est ce qui nous sauve, comme le tafia qu'on nous fait boire avant l'assaut, bien à jeun pour qu'on soit saouls plus vite, pour qu'on ne sente plus rien, ni odeur ni douleur, ni compassion, ni pour nous-mêmes ni pour les autres ...

    Courage, frère d'arme, t'oublieras jamais ce moment-là, mais tu seras consolé, si on s'en sort, par ta petite femme chérie ...

    (Robinson, tranchées de la Somme, avril 1915)

    https://www.facebook.com/photo.php?fbid=164223900404108&set=a.151043021722196.1073741826.151041275055704&type=1#!/leon1914

     

  • la fille elfe ...

    L'eau coule, claire, au long du lit de la rivière. Des cristaux de lumière scintillent aux éblouissements solaires. Des feuilles d'or bruissent au vent de l'automne. L'air sent le frais, et l'odeur du bois parcourt les rives moussues.

    Elle s'est assise sur un grand galet de granit, après y avoir posé quelques feuilles sèches pour la délicatesse de son confort. Ses jambes menues et fuselées pendent vers l'onde, et ses pieds touchent l'eau. Elle a replié ses ailes diaphanes, comme un châle sur ses épaules. Elle regarde la course de l'eau, elle se fascine à découvrir les traits sombres des poissons qui filent entre les rochers.

    Elle a posé ses mains sur ses cuisses, comme un appui doux pour se pencher, en forme d'interrogation, comme pour questionner l'eau... Puis, sans doute à force de sentir un regard sur elle, elle tourne sa tête de chaque coté, cherchant sous les frondaisons celui qui l'épie, devinant une forme de visage derrière un buisson de houx ou devinant un craquement de branche morte dans la forêt alentour. Mais non, elle ne me sait pas ici. Avec un dernier regard frissonnant vers le ciel, elle reprend son observation. Le petit martin pécheur qui surveillait le courant jette un "pîîîp" de connivence, puis sautille sur un autre observatoire. Elle a ramené ses bras à toucher ses épaules, enfermant de petits seins naissants dans un nid de chaleur retrouvée, pour faire obstacle à la fraîcheur de la rivière. Elle s'est recroquevillée sur le lit de feuilles. Elle reste là, pensive...

    Le bruit de la forêt semble devenir assourdissant, tant le silence occupe l'espace. Le temps ne compte plus, une éternité s'installe. Et là, quand la torpeur du lieu a fini d'engourdir les sens, une voix flûtée s'élève, douce et puissante à la fois. Elle chante. Une ballade gaélique apprise depuis de longues années, avec ses particulières notes, ses trilles serrées, son refrain si doux...

    Elle raconte l'aventure d’une Elfe comme elle, si fragile et si seule, oubliée par les temps dans une forêt immense. Elle chante ses espérances et ses prières, ses douleurs de vivre sans personne à qui parler. Elle raconte une lente mélopée, aux accords d'une harpe, de ces temps où les elfes pouvaient mourir d'amour, rien qu'au parfum d'une rose, un temps où les bois étaient aux mains des hommes, quand les elfes se terraient en des lieux maudits, en attendant l'avènement du soleil, le retour des oiseaux, en attendant la paix.

    (Pour Wind ...)

  • Quand vient la nuit

    La nuit, je ne la vois pas. Quand je me lève, elle est encore là, et quand je m'écroule dans mon lit, elle n'a pas bougé. Je me concentre sur les écrans, je scrute, je cherche des machines, j'écris, je déchire, j'écris
    encore, puis je passe d'un logiciel à l'autre, je réponds au téléphone, les yeux rivés sur des écrans ...


    Riff Cohen ajoute ses mélopées yeménites en bruit de fond, en boucle. Cette voix de fille, rocailleuse et douce comme le désert me jette dans des songes instantanés au bord du wadi, où tout est encore vierge, où tout attend, comme une promesse de rêve, des visions d'oasis, d'ombres fraîches.

     Des fois je m'évade pour un rendez-vous, une course, comme si hors d'ici il n'y avait plus rien, alors que tout est plein de couleurs, de vie, d'odeurs. Je ne vois plus les heures passer, je mange comme un voleur de poules, je me surprends à sentir mon odeur de sueur, moi, si immobile, si statique ....