(mardi 7/4/20).
Volets fermés. Ce matin, c'est jojo le boucher qui m'a réveillé. Je rêvais d'avoir encore 14 ans. C'était les vacances de Pâques. Mon père avait acheté quelques années auparavant un hameau en ruine dans un village perché et perdu aux confins de la Drôme, et nous avions pris l'habitude d'y passer nos vacances, toutes nos vacances, mes quatre frères, ma sœur, ma mère et moi, et parfois mon père, quand il pouvait en prendre.
J'avais déjà pris le pli de voyager seul en train. A cette époque, un enfant de mon âge pouvait traverser la France, tout le monde s'en fichait. J'avais pris le soir un train de banlieue pour aller de Melun à la gare de Lyon, puis j'avais couru jusqu'aux grandes lignes avec le sac à dos de scout de mon père sur le dos, pour attraper de justesse le train de nuit qui allait terminer sa course fumante à Gap. Dans les secondes classes à l'heure des vacances scolaires, les compartiments étaient bondés, et nous faisions souvent le voyage dans le couloir, entre les valises, les cigarettes des fumeurs et les odeurs de la fumée du charbon envoyée par la locomotive...
Je me réveillais par moment, ankylosé par les crampes à force d'avoir dormi à petite vitesse sur le sac à dos, lorsque le train commençait à faire l'omnibus entre Valence et Gap. Vers 6h, il faisait sa courte halte à Luc-en-Diois, juste le temps de sauter sur le quai vide, puis repartait en soufflant sa vapeur vers les montagnes. Il faisait froid et la nuit pesait encore sur le village silencieux. J'entendais crisser mes pas sur le gravier qui bordait la rue entre la gare et l'arrêt du car . L'air sentait le bois brûlé dans les cuisinières et les cheminées. Je m'asseyais sur la marche du marchand de journaux pour attendre le vieil autocar que conduisait le père Bouffier.
Il arrivait par la route de Die, ouvrait la porte latérale avec le grand levier qui jouxtait son siège, prenait une botte de journaux qu'il posait devant la porte du magasin, puis me laissait monter dans son univers vide, encaissait en silence les quelques nouveaux francs du passage, puis fourgonnait dans ses manettes pour arracher l'engin au silence du village. Parfois un berger ou un paysan était endormi plus en arrière. Moi je restais devant pour voir la route défiler, regarder la montagne se réveiller en montant le col, admirer dans les lacets de la route les engradements de lumière sur les parois abruptes des cicatrices qu'avaient laissé les glaciers au flanc des à-pics. Le père Bouffier ne parlait jamais. D'ailleurs c'était écrit au-dessus du pare-brise de l'autobus: "défense de cracher - défense de parler au chauffeur".
La halte du village d'Establet approchait, le jour avait pointé sur les sommets. Le car s'est arrêté en face de la poste du village, a déposé deux colis: le sac postal, maigre, et moi, presque aussi maigre que lui. Une fois le car parti, il régnait un silence de montagne et d'aube. j'hésitais à prendre le petit chemin qui allait vers la maison. Mes chaussures de citadin étaient vite trempées par la rosée, mais je m'en fichais : avec le jour, le parfum des violettes et des primevères envahissait l'air pur, saoulait ma fatigue de la nuit, me donnait l'impression d'entrer dans un autre univers, plein de sérénité et de béatitude.
Tout le monde dormait. Depuis que nous venions ici, j'avais colonisé un vieux pigeonnier avec mon frère aîné, et nous y avions installé des lits picots que mon père avait déniché je ne sais où. Je m'étais déshabillé dans le froid du matin, et je m'étais glissé dans mon duvet pour m'endormir. Le soleil commençait à rosir le sommet d'en face ... La fatigue de la nuit faisait siffler mes oreilles dans le silence...
J'ai mis du temps à me réveiller.
Le martin pêcheur jojo a fini sa mélopée matinale.
Ma chérie a appuyé sur un bouton, le volet s'est ouvert sur une grisaille matinale...
ah oui ! c'est vrai. le confinement...
Commentaires
salut Dom, le chauffeur s'appelait Léonce , la loco était un diesel car la ligne n'était pas electrifiée, il n'y avait plus de train à vapeur depuis bien longtemps ! bon confinement et bises à Caro et Rachel
non, j'ai connu les derniers trains à vapeur en 1964. les diesels sont arrivés après. pendant le voyage, lorsque le train passait dans un tunnel, on fermait les fenêtres pour ne pas avoir la fumée dans le wagon... Et j'ai encore en mémoire l'odeur du charbon brûlé qui restait collée partout...
J'ignore quel était le prénom du chauffeur, pour moi c'était le père Bouffier... J'ai écrit à la famille à Die pour recevoir des précisions et des photos d'époque..
https://www.youtube.com/watch?v=p1jvN9glH7g
Bises et zoilleuses paques !