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abeilles

  • Confinement, jour 7

    (mardi 24/3/20)

    j'avais décidé à l'aube qu'aujourd'hui je partirai en exploration lointaine dans mon désert. Je dis ça comme ça, mais en fait mon but était d'aller inspecter une baignoire abandonnée dans les dunes au bout de la vue de mes jumelles, à quelques milliers de pas comptés dans le sable. Si cette chose était récupérable, je l'aurais transporté chez mon voisin, amateur d'hétéroclite . Il en aurait fait probablement une oeuvre d'art, sculptant des fresques dans l'émail qui couvre la tôle ou la fonte, et vernissant son travail pour que les fesses des dames puissent se frotter aux délicates frises qui formeraient des fleurs improbables et des lianes voluptueuses...

    Sur le chemin j'ai observé toutes ces fleurs écloses avec la pluie du printemps: toujours petites, toujours délicates, blanches, roses, jaunes, dorées, elles colorent le fonds ocre devenu vert du désert, peu de temps, certes, mais assez pour rassasier les moutons de la bergère bédouine, véritables goinfres des raretés de la nature.

    Et plus je les observais, plus je m'étonnais du silence de cette tapisserie incongrue. Rien. pas un vrombissement d'ailes, pas un miaulement discret d'abeilles affamées de pollen. Aucune fleur n'était visitée par un pollinisateur quelconque, abeille, bourdon, mouche, papillon. J'avais beau aller d'un tapis de fleurs à l'autre, silence total. Pourtant il faisait beau, le soleil chauffait mes épaules autant que le sable, et je ne trouvais pas de raison valable pour justifier l'absence des abeilles. Sans elles, les fleurs ne feront pas de graines, sauf si le vent emporte avec lui les pollens et les redistribue alentour...

    Je suis arrivé finalement à ma destination. Une baignoire penaude, échouée dans la dune comme une barque qui aurait pu porter Moïse, portant comme une laisse un cordage qui avait dû servir à la traîner là, épave surréaliste d'une civilisation à l'agonie. Elle n'était pas en tôle, mais construite en fibre de verre, et elle était éventrée sur un coté. Mon voisin n'en voudra pas. Demain, peut-être, je la traînerai derrière ma Jimny, comme une carcasse morte, et je la déposerai près de la benne à ordures. Même dans le désert, on a un service de nettoiement municipal.

    Sur le chemin du retour, j'ai encore observé les fleurs, tout en ramassant les plastiques apportés par le vent.On n'imagine pas dans les villes le chemin que peut faire une bouteille en plastique ou un sac du même nom lorsque le vent commence à jouer avec. Dans le désert, on en ramasse sur des kilomètres...

    J'ai fini par renter dans ma yourte. Finalement, je crois que les abeilles font comme moi. Elles sont confinées.

    L’image contient peut-être : fleur, plante, nature et plein air