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tortue

  • confinement, jour 19

    (5/4/20).Dimanche.

    Ici, d'habitude c'est le premier jour de la semaine. La machine économique devrait se remettre en marche. Mais aujourd'hui rien. Pas un bruit d'enfant qui part à l'école. Pas de portes qui claquent et de voiture qui démarrent dans le quartier. Un vrai bruit de désert. Les oiseaux du coin font ce qu'ils peuvent pour combler ce silence. Jojo le boucher (il a reçu ce nom car ce martin pêcheur est un massacreur de nids), perché en haut de l'eucalyptus, envoie ses triolets en descendo, comme un muezzin du haut de son minaret. Les piafs se chamaillent autour de la vasque du jardin pour s'approprier les miettes déposées là après le petit déjeuner. Une tourterelle met fin aux bavardages, picore, boit un coup et repart sur la branche voisine. Elle a attendu que les autres se taisent pour y aller de sa roucoulade...

    Mon ange a posé ses ailes dans la salle de bain et a décidé de tout ranger dans la maison. On se croirait dans Blanche Neige ou Cendrillon. Je me suis rapidement réfugié dans mon bureau. Ici, internet facile, j'arrive à mettre à jour tout ce qui se bloquait à l'autre bout du monde, et à me débarrasser de messages concernant la nouvelle-Zélande, maintenant que le master robot à lunettes a compris que je n'y étais plus. Mais il n'en rate pas une et a remplacé les pubs en anglais victorien par les messages hébraïques qui n'ont aucun rapport avec Moïse ou ses descendants.

    Je furète sur le net pour avoir des infos pertinentes sur la situation. Comme disait mon regretté professeur d'anticipation politique, Franck Biancheri, ce n'est pas en première page qu'on trouve les données les plus intéressantes... Par exemple ce qui se passe dans les pays d'Amérique du Sud... on est loin des chiffres "officiels": à Guayaquil, les gens brûlent les cercueils dans les rues, faute de services municipaux pour ramasser les cadavres. Au vénézuela, 65 % des hôpitaux n'ont pas d'eau courante, le personnel de santé nettoie les locaux avec des seaux d'eau sans détergent ou chlore. Seulement 10 % des hôpitaux ont mis en place un protocole pour traiter des patients contaminés par le coronavirus c19... Et nous sommes encore qu'au début de l'infestation dans ces pays. La gestion de la pandémie dans les pays de l'hémisphère Nord, malgré un manque évident d'anticipation, a provoqué des réactions plutôt salutaires, même si l'autisme caractériel de certains gouvernements a retardé gravement la mise en place des bonnes pratiques. Dans le Sud, par contre, s'ajoute à l'inconscience des gouvernants la pauvreté logistique et technique des infrastructures. Le résultat sera probablement une catastrophe...

    Deux cent soixante quatorze amis sur ce site... et à peine une dizaine à réagir à ma prose prisonnière du quotidien. 3% de réactions, c'est peu. Alors je suis allé en parler avec Brigitte. D'accord, elle ne parle pas. Mais elle m'écoute.

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  • confinement, jour 18

    (4/4/20). Hier, j'étais arrivé avec mon bouquet dans ma voiture et mon bonheur sous le bras. Celui de retrouver les miennes, épouse et fille. Mon bonheur s'est effiloché comme une ficelle usée. Une bassine déguisée en pédiluve m'attendait derrière la porte du jardin, je devais enlever mes chaussures et les passer à l'eau de javel, mettre mes vêtements dans la machine à laver. L'étreinte dont j'avais rêvé (ces bras qui s'ouvrent et qui enferment le héros qui revient de la bataille, avec un rire aux dents blanches et un baiser de tendresse) s'est dissoute comme le savon que je devais passer sur mes mains. Pas question de bisous. Distance de sécurité. La maison ressemblait maintenant à un jeu de chaises musicales, mais ce n'était pas les chaises qui manquaient, c'était les effusions de tendresses. Un retranchement généralisé derrière la crainte de la vilaine chose qui envahit le monde. Tous ensemble, mais loin de tous. Car ne pas caresser une joue à portée de main, ne pas embrasser le fruit de ses jours à portée de lèvres, ne pas pouvoir enlacer celle qu'on aime et qui est là, juste tout près, c'est être loin.

    Je me suis endormi comme une saucisse dans un hot-dog. Roulé sur moi-même, devenu soudain sourd et aveugle, dans mon coin du lit, vexé d'avoir rêvé à d'autres retrouvailles que la situation sanitaire a rendues insupportables. Je suis (re)devenu autiste. Je me suis relégué dans un monde étanche, aseptique, inaccessible, tant que cette misère d'amour persisterait à nous gâcher la vie.

    Ce samedi, le Livre. Une échappatoire. Tsav. (Lévitique, chapitre 6 à 8). Tsav: "ordonne..." On découvre le détail des offrandes, leurs types, comment elles doivent être présentées. Et Moïse, qui doit consacrer son frère aîné Aaron et ses fils les "enfants de coeur" (Ben levi'im en hébreu), les oblige à rester confinés 7 jours à l'entrée de la tente d'assignation (qui est en fait le Temple pendant toute la durée de l'éxode) "pour faire expiation" (chap.8/33)... Mais le verset 35 répète la sentence:" à l'entrée de la tente vous resterez jour et nuit et vous ferez la garde de l'Eternel, et vous ne mourrez pas, car c'est ainsi que j'en ai reçu l'ordre." Je suis retourné: deux versets qui parlent de 7 jours... 14 jours ? Et à quelle époque sommes-nous ? la même ! (le mois de Nissan) La fête de Pessah (pâque hébraïque) commence mercredi prochain, le huitième jour du mois. La relation avec ce qui se passe ici et maintenant est très troublante. Car dans le texte suivant (Chemini, le huitième jour), on assiste à la consécration de Aaron et ses fils, et à la manifestation de Elohim... Et on y apprend que plus un acte est sacré, plus il requiert une période de préparation morale et spirituelle importante. Et là, tout le peuple hébreu est requis de "rester à l'entrée de la tente (dans leur maison)" depuis sept jours...

    J'avais annoncé au mois de septembre 2019 que cette année 5780 serait celle de l'entrée du Monde dans le septième jour de la création (le vendredi soir de la création à 18h41, heure du coucher du soleil à Jérusalem le soir du 8 Nissan, soir du seder de Pessah), et de grands bouleversements montreraient au monde cet avènement extraordinaire. A la lumière des évènements qui nous entourent, je crois que nous sommes sur ce chemin.

    Le chat est resté sous la yourte. Les caméléons aussi. Notre chienne Françoise et sa copine Brigitte la tortue l'ont remplacées... Entre l'isolation et le confinement, je ne vois qu'une différence. L'amertume. Mais je ne fais pas ma promenade "autorisée" avec Brigitte. Elle est trop lente...

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  • Confinement: jour 16

    (2/4/20)

    Ma chérie a fini (enfin) par me le dire. "Tu me manques, j'ai besoin de toi !". Ce qu'il fallait. Comme de mettre la clé dans le démarreur. Alors j'ai cherché tous le prétextes pour quitter ma yourte et mon désert...
    - la liaison internet est pourrie, ç'est uniquement le partage de connexion de mon téléphone. Un brave instrument celui-là.
    - le chat sous la yourte en a marre de faire du yoga. La nuit, là, au moment où j'écris, il miaule en copain, trois ou quatre miaulements discrets, puis silence pendant cinq minutes, et il recommence. Je pense qu'il a froid, mais il ne veut pas me l'avouer, et encore moins venir se mettre au chaud.
    - le temps fait le yoyo, ça décourage des tortues et les caméléons, ils restent confinés (eux aussi) et ils ne se montrent pas, ça me déçois beaucoup, j'aime trop ces petites bêtes.
    - pas de télé. D'un coté, tant mieux, j'ai assez d'infos sur les réseaux sociaux: si les infos journalistiques sont du même tabac, je comprends que les gens qui restent devant leur télé toute la journée deviennent dingues.
    - la voisine, adorable, ramasse des chiens en croyant qu'elle les sauvent. Elle a récupéré une chienne bédouine probablement skizophrène qui doit avoir des cordes vocales en titane. Elle aboie tout le temps, sur n'importe quoi et n'importe qui (dont moi) pour n'importe quelle raison obscure. La nuit c'est pire, elle engueule la lune...
    - le sable. Il s'invite tout le temps dans tout ce que je fais. un malotru total : se met dans mes chaussures, se glisse sous la porte, fait la dune devant la yourte juste pour que j'utilise ma pelle, s'incruste avec son copain le vent dans le clavier de mon fidèle Lancelot III (c'est le nom de mon ordinateur portable, troisième du nom, le deux ayant perdu ses moyens faute de batterie de rechange, le un ayant été volé dans ma voiture par des envahisseurs à Jaffa juste devant la vieille mosquée), et, lorsque son compère le vent vient du sud et sa copine la pluie s'y colle aussi, ces trois là transforme et ma voiture et mes vitres en tenues de camouflage dégradée de tous les ocres jaunes de la région.
    - le parquet: ça fait une semaine que je bouche les fissures avec la patience d'un ange qui aurait perdu ses ailes dans un poulailler industriel: mes genoux de vieux n'en peuvent plus. Et c'est pas encore fini...
    - le froid qui me fait perdre l'envie de boire mon café: pendant que j'écris, le soir, la température tombe dans ma tasse chaude comme une épidémie: invisible, elle éteint la chaude sensation de tenir le mug, elle tiédit tout, puis me fait frémir quand je me lève pour aller dans mon lit froid et solitaire.

    Voilà assez d'arguments pour aller rejoindre la civilisation claquemurée derrière les peurs ancestrales des épidémies séculières. On se regarde, mes vieilles chaises et moi, celles qui ont fait le tour du monde depuis quarante ans, comme si l'on assistait à une veillée de bataille, ou à une veille de départ, en se disant qu'on ne s'oubliera pas, en jurant qu'on reviendra. Et je vous vois, tous, assis autour de moi, qui me dites "vas-y, vas-y..."

    Il est temps que je rentre, j'entends des voix...