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la plage de Robinson - Page 14

  • Hommage à Aimé Césaire

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    On avait beau se douter de quelque chose. On avait beau se dire que l'homme était devenu un vieillard, et que l'on avait assisté ces derniers temps à des errances que la sénilité pouvait justifier. Mais là ? La porte de sa vie a été refermée doucement, comme un murmure. Il est parti comme il a vécu, sans violence, sans éclat de gestes ou de voix.


    J'avais dans mes bagages une image Africaine de la négritude, étalée sur de longues plaines de savanes, de déserts ou de forêts, là où les regards qui croisaient le mien n'étaient pas interrogateurs ni méfiants, où les mot "blanc" et "noir" se conjuguaient avec partage et insouciance, sans vouloir y deviner des luttes de classe ou des proéminences de dominations. Des endroits où ces mots de couleurs ne se prononçaient même pas. Ici, ce sont les premiers mots que l'on m'a dit. J'étais "blanc", fiché, classé, identifié comme tel. Je n'ai pas compris ce qui se passait. Je souffrais de cette discrimination, sans comprendre encore que d'autres subissaient la même douleur depuis des siècles. Puis, peu à peu, le cristallisoir a fait son oeuvre, sous l’insouciance menteuse des alizés. L' Histoire s'est révélée, et avec elle des horreurs que je n'avais pas su, des legs de non-dits qui rampent encore dans les mémoires, des viols étouffés par les faussetés du savoir être, des arrogances indignes de l'humanité, de tout ce que cache l'identité Antillaise.


    Aimé Césaire a su l'écrire, le décrire, et sous l’apparente douceur de sa plume, il a brossé l'odeur sauvage de l'esclavage, le cri sans voix de l'inconnaissance de l'autre, la légation de génération en génération des souffrances mortifères de la négritude, se faisant le témoin et le chantre de cette détresse non dite, ou écrasée par l'ignominie lorsqu'elle arrivait à devenir un murmure. Il a su affirmer cette identité fondée sur des douleurs héritées et difficilement cicatrisées.

     

    Nos quelques rencontres, fortuites, rapides, sans grand temps pour nous mieux connaître, me laissent le souvenir de l'homme à l'apparence paisible qui cache au fond de ses yeux une flamme brûlante. Je ne sais pas avec quelle volonté et quelle sagesse il arrivait à calmer toute cette colère que d'autres auraient laissé éclater, sachant dans sa mémoire tout ce qu'il avait appris, et de l'Histoire, et des histoires que lui confessaient les petites gens de Fort de France. Je devinais dans son regard l'humilité de l'homme confronté à ses limites, celle de ses moyens, celle du temps, celle de l'autre. Je devinais avec quelle intelligence il avait préféré écrire, laissant par le tracé de ses mots une piste durable pour ceux qui voudraient comprendre, abandonnant à l'arbitrage du lecteur sa propre lecture de malheurs qu'il aurait pu taire, préférant, comme la plupart d'entre nous, verser le sable du temps de sa vie à des choses plus délétères.


    Je voudrais saluer sa constance, la linéarité de son combat, la patience avec laquelle il a lentement instillé le baume de compassion et d'écoute auprès du peuple Martiniquais, ouvrant ainsi des yeux fermés par les routines du temps et par la lassitude d'un pays sans saisons, apportant une espérance pacifique et constructrice, éloignant l'inutilité d'une violence porteuse de haine stérile.


    Puissent les générations futures reconnaître dans son  oeuvre littéraire le guide qui a donné un nom et une fierté à la négritude.


    (c) Pablo Robinson

  • Les anges sont au nombre de quatre

    1991387641.jpg"Les anges sont au nombre de quatre: Raphaël est à droite, Huriel est à gauche, devant, elle voit Gabriel qui ouvre la marche et protège ses pieds des pierres coupantes, et derrière, Michael ferme la marche. Dania est lumineuse, elle pose ses  pieds sur les pétales de roses. ... " Giono se réveilla d'un coup. il était trempé de sueur, couché sur le canapé du salon. Il ouvrit les yeux, et immédiatement, il eut mal à la tête. Il réussit à s'asseoir, la tête entre les mains, les coudes plantés sur ses cuisses, les yeux fermés. Il se demandait ce qui pouvait bien lui arriver. Dans la pénombre de l'appartement aux volets clos, il avait une vague impression qu'il faisait jour. Il regarda sa montre en se penchant vers le rai de lumière qui touchait son bras. il lut deux heures trente, comprenant qu'on était déjà l'après midi. il prit son téléphone portable, voulut appeler, mais il n'y avait plus de batteries. Il se leva péniblement, chercha dans la pénombre le téléphone fixe, vérifia dans le combiné qu'il y avait une tonalité, puis il fit le numéro de Dania. Pas de réponse. Il laissa un message, puis appela chez ses parents. Giovanni, le père de Dania, répondit. Non, il n'avait pas vu Dania et il commençait à s'inquiéter. Giono essayait de parler normalement, mais ce qui sortait de sa gorge ressemblait à un murmure rauque. Giovanni lui demanda s'il allait bien, mais, à la réponse de Giono, il comprit que ça n'allait pas du tout. Il lui proposa donc de ne pas bouger, et qu'il allait appeler le médecin. Giono n'avait plus la force de résister, il acquiesça, puis raccrocha. L'effort qu'il fit pour se lever acheva de provoquer une nouvelle crise. Il dû se rasseoir, puis s'allonger dans le canapé. La fièvre revenait, il avait froid .....

    Giono ne sut pas quand le médecin arriva. Il avait un visage rouge, des yeux tout ronds, des cheveux roux, et il sentait l'ail. Il était penché au-dessus de lui et il inspectait son oeil avec une lampe de poche. C'est sans doute cela qui l'avait réveillé. Giono regardait le plafond. Quelqu'un avait ouvert les volets, le jour faisait une ombre au lampadaire qui était allumé. Le médecin parlait à quelqu'un. Giono reconnut la voix de son père. Il tenait la cafetière de la cuisine et versait du café dans un bol. Giono  essaya de se relever, mais la douleur dans le crâne recommença. Le médecin prit le bol de café, puis il passa son bras derrière ses épaules, le releva doucement et le fit boire. Chaque gorgée lui brûlait la gorge, il se retenait pour ne pas tousser. Quand il eut fini, le médecin accompagna son geste pour le remettre à l’horizontale. "Vous êtes très malade, monsieur, il faut vous hospitaliser, mais vous n'êtes pas transportable dans votre état." Giono vit la silhouette de son père derrière la médecin qui hochait la tête en signe d'assentiment. "je vous ai fait une piqûre pour faire baisser la fièvre, mais vous avez un syndrome méningé, et vous ne pouvez pas vous lever. il faut rester allongé si vous ne voulez pas avoir trop mal à la tête. Je vais revenir demain matin pour vous faire des examens. Je vous ai fait une prise de sang pour faire des analyses ce soir. Votre père va rester près de vous". Il se releva et alla discuter avec son père dans la cuisine. Giono se sentait un peu mieux, le café lui faisait du bien, et le produit qu'on lui avait injecté lui donnait l'impression de planer.....

     

  • Ces Morts qu'on ne retrouve pas

    16094985.jpg« Mais si ! des corps on en retrouve, bien sûr » …. l’un des responsables de l’association Yahad-in-Unum parle des ossements qui affleurent parfois des fosses ayant abrité les meurtres de centaines de milliers de Juifs, de Roms, de Tziganes entre Varsovie et Moscou, parfois au milieu des jardins publics ou des terrains vagues des villes et des villages. Depuis 2005, le père Patrick Desbois cherche et trouve les sites des massacres perpétrés entre  1941 et 1944. des centaines de fosses creusées à la hâte sous la terreur des nazis, aux alentours ou au milieu de villages d’Ukraine, de Biélorussie, de Pologne, de Moldavie …. Autant de drames atroces où les familles étaient assassinées d’une balle dans le dos ou d’une rafale de mitraillette, après avoir été pillés, battus, violés, torturés.

    C’est de ces morts là dont je parlais. Ceux qui ont soudain disparu un matin de 1941 ou de 1942. Ceux que les témoins âgés se rappellent avoir vu passer dans l’unique rue du village, terrorisés par les nazis qui abattaient à vue quiconque tentait de s’échapper, quiconque tentait de soustraire une victime à son horrible destinée, reconnaissant dans la file des camarades de classe, des voisins, des amis de leurs parents. Ces morts dont les ossements retrouvés n’ont pas de nom, pas de mémoire, pas de traces de vie.

     Le mercredi 12 mars, la chaîne de télévision FR3 a diffusé le reportage effectué avec l’équipe du Père Patrick DESBOIS au cours de l’été 2007. Sans images spectaculaires, les journalistes ont montré avec simplicité combien la douleur de ces moments est toujours présente dans l’esprit de ceux qui ont été témoins des « aktions », des enfants au moment des faits. L’équipe de recherche du père Desbois dispose d’un détecteur de métaux pour retrouver les endroits d’où les nazis tiraient sur les victimes : ils récupèrent une à une les douilles des mitrailleuses ou des fusils, ce qui permet d’évaluer le nombre de personnes qui ont été assassinées à cet endroit : une balle, un Juif.
     

    En parallèle, d’autres équipes cherchent dans les archives pour tenter de retrouver les sites et les noms des habitants du village qui ont été assassinés, et indiquer aux descendants possibles les lieux où sont les dépouilles de leurs parents.

     

    Les fosses sont des sanctuaires, qui doivent être respectées comme des sépultures. Il n’est donc pas question de déterrer les ossements. L’équipe s’affaire donc autour pour reconstituer les limites des lieux de tuerie, en faire un site reconnaissable au même titre qu’un cimetière, afin que les visiteurs puisse venir s’y recueillir et lorsque cela est possible, indiquer aux descendants des familles assassinées que les dépouilles de leurs parents sont là.

    La tâche de l’association yahad in unum est gigantesque : reconstituer les archives locales depuis la Russie, les Etats-Unis ou Israël, immergées dans des documents constitués de plus de 14 millions de pièces administratives, de rapports, de témoignages, repérer les fosses sur la base des témoignages des habitants encore vivants, dont la plupart ont plus de 70 ans, enregistrer les images de ces témoignages afin qu’ils survivent aux témoins âgés, traduire les questions et les réponses, faire les recherches sur le terrain, comptabiliser les douilles pour évaluer le nombre de corps ensevelis, puis mettre en place les espaces de sépultures afin de consacrer les lieux et les rendre inviolables. Cette tâche et faite conjointement avec des Chrétiens et les Juifs de toute l’Europe, d’Israël, d’Amérique, sous l’égide du Père Patrick Desbois.

    le vendredi 14 mars 2008, une nouvelle équipe a quitté Paris pour entreprendre une nouvelle mission de recherche, à la faveur du dégel, en Bielorussie (Belarus). Avant de partir, le Père Patrick Desbois a lancé un appel au cours de l’émission de FR3 qui était consacrée à son œuvre. « Nous ne pouvons pas construire l’Europe sans régler ce douloureux problème, et pour le faire, nous avons besoin d’aide. »
     
    Pablo
    ps: si vous voulez aider le père Desbois, vous pouvez m'écrire. 
  • la note sur le bureau

    J'ai comme une boule dans le ventre quand je pense à toi. ça m'arrive souvent, n'importe quand, même quand je suis dans mon travail. il suffit que je regarde l'écran de mon ordinateur, il suffit que j'imagine une page d'un Email qui ne vient pas, un petit mot que je ne lis pas, et une absence se creuse en moi, comme une faim, comme un manque. il faut que je m'aveugle à regarder le soleil, ou que la pluie me mouille comme une éponge pour que je m'arrache à cette douleur sourde.

    Je ne sais pas la force du lien, je ne sais pas pourquoi de si loin on attache son coeur à un regard, à un sourire, à des yeux qui se ferment. C'est sans doute parce que ce regard est trop rare, le sourire trop attendu, les yeux trop souvent ouverts sur ce que l'on ne veut pas voir. Alors j'espère aprés eux, alors j'attends un mot, alors je compte le temps, comme si la densité des jours pouvaient devenir assez épaisse pour étouffer cette envie de respiration impossible à faire tout seul....

    Bien à toi, très fort, comme une vibration.

  • Voeux 2008

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    Les braises perdaient leur rougeur sous la cendre, tandis que l’aurore naissait, à l’est, au loin. Le vent glacé du Néguev tombait du nord. Je m’étais assoupi, calé contre la pierre séculaire. Le sommeil m’avait absorbé comme une caresse, et je m’étais docilement laissé faire… 

    Lena Socksann était là, inconsistante et têtue, elle revenait aux confins de mes songes :

    « Tes pieds foulent le sable qui a vu naître le monde, tes yeux embrassent les montagnes où la Parole a été donnée, et tes doigts suivent les lettres tracées par le feu divin, cherchant pas à pas à construire ce que tu as été depuis le Début, et ce que tu seras jusqu’à la Fin. Et tu demandes pourquoi tu es là, et seulement maintenant. Tu sais pourtant les signes des hommes, ces signes différents de ceux donnés, ces codes qui éclairent l’érudit sur sa place universelle.

     Je te donne les clés de cette année: le deux te donnera la double vision du temps, celle de ton passé et celle de ton devenir, confondus en une spirale roulée à six rangs de quatre lettres, toutes différentes. Le premier des zéros te donnera l’occasion de renaître à partir de rien, ou de si peu, le sable de Mitzpé Ramon si tu le veux, le sourire d’un enfant peut être, autant dans ton cœur que dans ton corps. L’autre zéro sera le socle poli par le temps sur lequel tu aimeras de nouveau, après avoir pardonné à ceux qui faisaient ta douleur. Le huit te donnera la notion infinie des dimensions du temps, pour aller chercher infiniment ton passé, pour construire infiniment ton futur, pour donner infiniment l’amour que tu as reçu cette nuit, sous la voûte du ciel, sur cette terre bénie depuis l’aube de la création. 

    Au réveil du jour tu marcheras vers l’est, puis vers le nord. Chaque pas que tu feras sera une prière pour ceux que tu aimes, chaque pierre posée ici depuis la nuit des temps te montrera le chemin, et tu iras là où la consistance du temps se confond avec les regards rencontrés, là où tant de femmes et d’hommes ont convergé pour trouver le salut que leur conscience refusait de leur donner.
    Déjà tu sens au frémissement de ce nouveau cycle solaire combien ta mémoire creuse les siècles passés, à rechercher les traces que tes ancêtres ont laissé ici, parmi les pierres et les serpents, et si leur long exil à travers les nations a permis d’affiner la pierre d’amour qui orne ton cœur, à la meule de toutes les souffrances que ce monde a produit. Va donc, sur ce chemin sacré, je serai là encore, je serai là toujours. » 

    Le soleil s’était levé, il avait passé la barrière de la falaise qui bordait cet œil immense de la terre, ouvert sur l’univers. Les mouflons descendaient vers les sources, leur trot faisait rouler les pierres, l’écho m’en apportait les résonances. Alors je me suis levé, j’ai ramassé mon sac, j’ai pris une datte sèche pour la mâcher en route, et je suis parti pour vous rejoindre ….. 

    Mitzpé Ramon, le 31 décembre 2007

    Pablo Robinson

     

    (photo (c) Pablo Robinson - 12/2007 - lever de soleil dans le désert du Néguev ) 

  • La brume d'elle

    c449442970e63fd01f26a366a7b121ae.jpgDe ces liens tissés à coups de sentiments jetés trop loin, à bout de main tendue. De ces baisers donnés les yeux fermés avec ce voeu si fort d'être aveugle longtemps pour que mes lèvres gardent la douceur de sa bouche, le velours de sa joue, le goût de la larme coulée. Je me retourne encore, le masque sur le visage. Le feulement des réacteurs brise le silence que je cherche. Dans ma nuit artificielle, dans cet avion vide, je cherche le point, l'image, le geste d'elle sur lequel je pourrais m'endormir. Mais à chaque souvenir mon rêve s'écroule et une nouvelle nuit retombe.
     
    Je gardais dans mes mains le souvenir des cheveux caressés, la nuque souple et docile à mon épaule un murmure de lèvres mouillées qui disaient des mots incompréhensibles à la peau de mon cou. Trop forts ces mots pour les dire plus fort. Je faisais semblant de ne rien entendre, en serrant mon étreinte d'adieu, en enfonçant mon nez dans les cheveux, avec une envie de disparaître ou de ne rien bouger, pas un doigt, pas un cil, rester ainsi, éternellement.
     
    Et puis voilà, le lien se coupe, un regard encore, un sourire, un pas en reculant, puis deux, et le taxi qui l'avale comme un gobé de crapaud jaune dans la rue américaine. Mais ce n'est pas en Amérique, c'est partout où je l'ai laissée. A chaque fois avec un regret comme une montagne détournée, un impossible retournement vers le perdu du temps, de tout ces gestes donnés et reçus, ces consolations partagées en une offrande mutuelle, grandissante, illuminée, qui nous rassasiait pour quelques temps et nous affamait d'amour à peine consommée.
     
    Il me reste quoi de ces heures d'amour ? des chemins de bois où je me crois errant, cherchant dans le résonné des futaies les murmures de tendresse, cherchant dans les chemins creux les parfums de la brume d'elle ...
     
    (c) Pablo Robinson - 11.2007 

  • De ces mots donnés en pâture à l'ours Bloggo

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     Pour Marie-Hélène. Hier elle se battait contre les oies de guinée. Là , elle se bat contre le croire de la rumeur. Elle se bat avec Bloggo, un ours fait de rien, mais qui enfle la tête des dactylos du net, des Jeannes de blogs qui espèrent que les stats grimpantes vont leur ouvrir le monde enchanté de la littérature sans livre, des gros titres people qui ont enfin déniché la gentille cendrillon dans les combles d'un sixième étage sans ascenseur, dans les fonds de la capitale ...
     
    Bloggo c'est un ours à poil, c'est à dire sans poil, qui se ballade dans la rue en montrant ce qu'il ne voit même pas lui-même. Sauf s'il met un pagne. Sauf s'il se censure. Sauf s'il ne montre pas tout. Et s'il ne montre pas tout, il devient comme tous les autres ours: commun.
     
    D'où l'art de la littérature. l'érotisme des mots qui font croire que le visiteur à qui Bloggo se montre verra des choses que les autres ne voient pas, comprendra à mots couverts des intrigues de palais que les langues n'ont pas déliées. (celle-là je la garde).

    Et comme une femme somptueuse, l'auteur ne dira plus rien que des mots d'amour, égrenés rarement. Comme la princesse aperçue, elle ne se montrera au jardin que lorsque le brouillard jouera avec le soleil. Comme le roi déguisé en mendiant, elle ne consultera les auspices que la veille de la guerre.

    Et comme tu disais en d'autre temps, sans le duende, sans la tripe contenue sous la langue, sans le lâcher de soi, et donc de vérité, point d'art, point de vie.

    N'est pas dangereuse la parole donnée avec amour. Les méchants en feront dérision, les affamés une nourriture, les persécutés une espérance.

    Pablo

  • Le paradoxe de Samarie

    sans moyens en temps ou en finance (ou en d'autres moyens d'ailleurs), la générosité ne peut pas s'exprimer, elle devient une activité sacrificielle (puisqu'elle prend la place d'autres taches plus importantes), et on sait tous les paradoxes qui se cachent derrière le sacrifice.

  • la voix dans le silence


    podcast
    Il avait bercé les réflexions dans le calme du salon, enflammé les émotions musicales, provoqué les tremblements des lèvres, levé les foules en délire. Juste avec sa voix. Juste avec ce qui sortait de lui, par sa bouche, par ses yeux. Des uns ont dit que c'était de la mécanique vocale, d'autres ont dit que c'était un homme dur en caractère, dur en amour, dur en affaires... Mais moi je garde de lui ces deux cassettes que j'ai trimbalé avec mon petit poste dans le désert, que j'ai écouté pendant des mois en regardant le soleil disparaître derrière les dunes, en pensant à l'autre coté de la planète. C'est sa voix qui reste là, et qui me fait frémir encore.

     Il ne tendra plus son mouchoir blanc vers le public, il ne rira plus en chantant. Il me laisse une si forte émotion que j'en reste interdit, silencieux. Quelle chance d'avoir gravé tant d'enregistrements, il laisse ainsi l'illusion de faire croire à sa propre éternité ....

    Adieu, Luciano Pavarotti 

  • Marcello

    cd68cf122d8730a755e1f5c89cc50915.jpgDans les couloirs de la grande université, il se frayait un passage entre les groupes d’étudiants et de chercheurs. Il avançait en regardant loin, au bout du long corridor, la porte à double battants éclairée par le soleil, dont la lumière éclaboussait les murs sur les cotés. Il régnait une atmosphère sourde, avec le bourdonnement des discussions permanentes entre les gens et les ouvertures incessantes de portes donnant sur les laboratoires. Marcello finit par sortir en clignant des yeux, aveuglé par la lumière crue du soleil. Il avait passé toute la matinée dans son bureau pour terminer un rapport important sur les codages informatiques. Il en avait fait une copie imprimée qu’il tenait à la main et qui, pour l’instant, lui servait de visière contre le soleil.

    Il était entré à 18 ans dans cette université, lauréat de sa promotion, après avoir grillé toutes les classes préparatoires comme des jeux d’enfant. Marcello est un garçon précoce, dont l’intelligence perçante avait été découverte sur le tard par son professeur de physique, à l’occasion d’un concours interscolaire. Un rapport circonstancié avait été fait à la direction de son lycée, et, à la suite d’autres tests, Marcello avait été confié à une école spéciale d’informatique, dont les élèves étaient promus aux services de renseignements, ou aux départements tactiques de l’armée. Depuis 2 ans, il travaillait à Uboldo, dans les locaux discrets de l’université de Milan, noyés dans une zone industrielle au sud de la ville, dont la proximité avec la capitale régionale ne faisait qu’enfler sa population. Marcello avait trouvé un logement tant bien que mal au nord du bourg, entre l’autoroute et la voie de chemin de fer, chez un notable cossu qui lui louait un appartement dans sa propriété, pour une poignée d’euros, grâce à la lettre d’introduction de ses employeurs du moment. La villa était vide la plupart du temps, et le propriétaire avait seulement demandé à Marcello de veiller à ses intérêts, ce qui n’était pas pour lui déplaire, car il pouvait ainsi profiter du jardin et de la piscine, chose rare dans la région. Mais Marcello, passionné par son travail, avait peu de loisirs à consacrer au « farniente », et finalement n’était à la villa que pour dormir, et, de temps en temps, les fins de semaine pour y travailler, quand il ne revenait pas à la maison.

    Au loin, les Alpes brillaient au soleil, couronnées du blanc de la neige, au-dessus des masses grises et brumeuses des contreforts des montagnes. Marcello montait dans sa voiture quand le portable se mit à couiner (Marcello avait installé une sonnerie qui imitait le cri du rat, ce qui faisait mourir de rire ses collègues, surtout pendant les conférences et les réunions). Il prit la conversation en attachant sa ceinture de sécurité. C’était sa mère qui lui demandait si Dania l’avait appelé, car elle n’était pas rentrée depuis samedi, et tout le monde était très inquiet. Marcello s’étonna aussi, ce n’était pas du genre de sa sœur. Bien qu’il ne la voyait que de temps en temps depuis qu’elle travaillait et que lui avait commencé ses études, il n’imaginait pas Dania découcher sans prévenir, mais, après tout, elle avait 27 ans maintenant, elle était assez grande pour se gérer toute seule. Enfin, c’est ce qu’il dit à sa mère, en lui promettant de chercher de son coté. On était lundi midi, après tout, et elle n’avait pas de compte à rendre, même si cette absence était anormale. Il ferma le portable et le posa sur le siège du passager, puis sortit de « l’usine » (le site de recherche ressemblait à une usine de production, copie presque conforme aux autres bâtiments de la zone), et partit pour aller déjeuner au Ristorante di Cavalieri, un établissement sans prétention près des carrières de Gorla Minore, où il devait retrouver des amis qui travaillaient dans les environs. Mais l’absence de sa sœur le rendait un peu nerveux. Il était rentré à Guastalla pour le week end, et il avait vu sa sœur samedi avant qu’il ne parte voir ses copains. Ils étaient ensuite partis à Vérone, avaient passé la nuit dans les discothèques de la ville avant de rentrer dimanche midi. Après une sieste, il avait repris le train dimanche soir pour Milan, sans revoir sa sœur. Marcello rappela à la maison dans la soirée. Il tomba sur son père, qui, malgré ses paroles rassurantes, laissait passer dans sa voix un accent angoissé. Au bout de leur entretien, Marcello finit pas admettre que cette absence était pour le moins bizarre, et qu’il rentrerait si la situation n’avait pas évolué d’ici 2 jours. En attendant, il avait demandé à son père de voir si des messages étaient arrivés sur l’ordinateur de Dania. Mais son père n’y connaissant rien en informatique, il lui suggéra de ne rien toucher, et que finalement il rentrerait au plus vite.

    Il se prépara pour une absence de plusieurs jours. Il avertit ses collègues et ses professeurs en donnant comme explication un problème dans sa famille, et, après être passé à la villa prendre ses affaires et son ordinateur portable, il reprit le chemin de Gustalla en prenant l’autoroute de Rome, en espérant qu’il n’allait pas s’endormir au volant. Dès qu’il le put, il prit un auto-stoppeur sur une bretelle d’accès, pas tant par charité chrétienne que parce que son passager le tiendrait éveillé jusqu’à la sortie de Parme. C’était un étudiant en psychologie, qui lui raconta rapidement ses études à Milan et lui exposa son thème de doctorat, orienté dans les capacités de télépathie de certaines personnes. Marcello n’était pas intéressé par le sujet, mais la conversation tint ses promesses, et il arriva à la sortie de Parme dans les temps prévus, et sans incident, malgré la circulation dense des camions qui revenaient d’Europe ou qui allaient livrer dans le sud de l’Italie.

    Marcello arriva chez ses parents au moment où ils se mettaient à table. Sa mère avait fait du rizotto, le plat préféré de Dania, comme si cette attention allait la faire revenir. Marcello posa quelques questions, mangea en vitesse, puis entreprit d’allumer l’ordinateur de sa sœur. Il était sûr que si Dania savait une chose pareille, elle piquerait une colère mémorable, car elle détestait que l’on aille dans son « jardin secret ». Marcello n’eut pas trop de mal à passer la barrière des mots de passe, car ils les connaissait depuis longtemps, et sa sœur ne les avait pas modifié. Il ouvrit le logiciel de courrier. Il n’y avait rien de particulier, des mails de Giono qui n’avaient rien d’intéressant, où il ne parlait que de ses modèles, de ses rendez vous, et de ses maux de tête. En cherchant plus loin, il trouva des mails d’un certain Barri Quinaud. Dania semblait entretenir une correspondance serrée avec cette adresse. Il chercha les propriétés d’origine des appels, et positionna le correspondant dans l’île de Santa Lucia . les échanges étaient placés visiblement sous le signe de l'amitié, et tout semblait se passer avec des questions d’ordre philosophique, spirituelles, ou affectives. Marcello lisait des messages où le Barri en question donnait à Dania des éléments de comportement dans la vie de tous les jours, des informations sur la manière de voir les autres. Il lut ainsi plus d’une dizaines de messages, étalés depuis plusieurs semaines. Il semblait que les premiers échanges dataient d’après les vacances. Marcello savait de Dania était partie avec Giono prendre quelques jours de repos dans le sud de l’Italie, aussi, il imagina que Dania avait pu rencontrer ce type et qu’ils avaient gardé le contact. Il ne trouva rien d’autre dans les messages. Vu la distance entre Guastalla et les Antilles, il n’imaginait pas que Dania soit partie aussi loin. Et de toutes façons, rien dans sa correspondance n’évoquait le moindre rendez-vous, ou le moindre déplacement, à moins que Dania n'ait effacé des messages reçus.

    Marcello regarda encore dans le bureau de sa sœur. C’était bien un bureau de fille : les dossiers rangés n’importe comment, des bouts de papiers griffonnés sans suite, des livres entassés avec des signets en feuilles annotées rapidement, un verre qui avait contenu du café caché sous des dossiers de son travail, des lettres posées sans avoir été ouvertes… et en plus, le bureau de Dania ressemblait trop à un bureau de travail, comme si elle avait déplacé son emploi pour y être encore après les heures passées à l'usine….

    En montant voir dans la chambre de sa sœur, il rencontra son père dans l’escalier. Il lui fit part de ses trouvailles, mais son père était au courant pour les échanges avec Barri. C’était un type charmant. Il lui semblait qu’ils s’étaient rencontrés sur Internet, à la suite d’un congrès professionnel depuis quelques années. il avait téléphoné quelques fois à Dania, et elle l’avait présenté par la caméra d’internet. Ce monsieur échangeait des idées et des solutions de travail avec Dania, sur des problèmes de travail, et de relations. Il semblait être très instruit. Marcello continua ses recherches dans la chambre de sa sœur. Il y retrouva cette odeur de fille qu’il connaissait depuis toujours. Quand il était petit, Dania et lui partageait la même chambre. C’était avant que leurs parents ne refasse la maison, après l’incendie. Dania était plus âgée que lui, de 5 ans, et elle s’était occupée de Marcello comme d’une poupée. Jusqu’à ce qu’il sache un peu se défendre, elle s’organisait pour le garder après l’école, jouait à la maîtresse avec lui, lui donnait son bain quand leur mère l’autorisait, jusqu’au jour où Marcello finit par trouver ses marques et se défendit de se retrouver tout nu devant sa sœur. Mais leur complicité fraternelle était restée intacte. Il chercha derrière le lit et sous le matelas, c’est là que sa sœur cachait ses secrets quand elle était petite. Mais il ne trouva rien. Il regarda la peluche préférée de Dania. C'était autrefois une peluche qui était sensée représenter une souris de dessins animés américain. Elle l'appelait Jerry. Maintenant c'était devenu une vague forme animale. Les yeux avaient disparu, le fil cousu pour représenter la bouche avait été reprisé à plusieurs reprises. Mais Dania n'en démordait pas, c'était son objet fétiche. Il le prit entre ses mains, pour tâter si un objet pouvait être caché à l'intérieur, sans résultat. Il ressortit de la chambre, passa la salle de bain au peigne fin. Rien ne manquait. Dania était partie sans rien emporter. Marcello était de plus en plus inquiet.

    Il redescendit dans le bureau, reprit le fil de la messagerie de sa soeur. Il envoya un message à l'adresse de Barri: "monsieur Barri. Je suis Marcello, le frère de Dania. Elle n'est pas rentrée à la maison depuis samedi soir. Nous sommes très inquiets. Pouvez-vous me joindre s'il vous plait." il envoya le message d'un clic de souris.