La bêtise ne triomphe jamais, elle rampe, lèche, suce, bave, salit, corrompt, et lorsqu'elle a usé de tous ses artifices, elle redevient poussière aux pieds des fantassins.
On l'évite comme un serpent, comme un étron au milieu du chemin, et lorsque par mégarde elle s'est collée aux semelles, il faut alors la supporter, malgré son odeur et la gène qu'elle provoque, jusqu'à ce que la marche en ait fini avec elle, et que les miasmes qu'elle a produits disparaissent dans la pulvérulence minérale soulevée par le convoi.
(Robinson des îles : réquiem pour un âne)
Chroniques humaines - Page 4
-
La bêtise
-
Billet (doux) du matin
Le journal France-Antilles du 12/04/2011, page 2, nous fait part des dernières nouvelles de la grève... Et l'on apprend que le syndicaliste Léandre Guillaume s'étonne d'une plainte contre X pour malveillances : "ce qui est grave c'est que personne ne sait ce qui s'est passé, mais on accuse les grévistes" (sic).
On se demande de qui ce personnage se moque. Il voudrait faire accroire que le personnel qui travaille à Bellefontaine ne connait pas par coeur les procédures de fonctionnement des moteurs dont ils ont la charge depuis 20 ans ! Et que subitement, à 2 heures du matin, un raz de marée imaginaire, ou un tremblement de terre dorlissien, ou encore une éruption d'un volcan chamoisien, nés dans le roman de leur revendication idyllique, aurait tout à coup coupé les disjoncteurs de 10 moteurs !
Je vais vous dire ce que j'en pense. Il faut d'abord savoir que les revendications qui sont à la source de cette affaire ont pour origine d'exiger de mettre dans le droit privé des accords passés il y a longtemps et qui sont exclusivement de l'ordre et du ressort du droit public. C'est en tous cas ce qui émane de la consultation du Conseil d'Etat du 7 avril 2011, qui a rejeté les doléances des grévistes de la Réunion, dont les agents martiniquais ont cru bon d'en prendre trop vite l'attache, croyant y trouver là une opportunité supplémentaire de "sucer le bonbon" (locution bien connue chez nous). Pensez-donc ! récupérer 15% de prime supplémentaire ! Mais voilà, ça ne marche pas d'un coup de baguette magique, et le Conseil d'Etat a mis le holà en disant la réalité du droit. Sans rentrer dans les détails scabreux de cette histoire lamentable, et pour résumer, disons, comme Shakespeare, que tout ce merdier ressemble à "beaucoup de bruit pour rien"...
Comme le dit la rumeur de la rue, vieille amie du bon sens et ancêtre des sondages : "on n'avait vraiment pas besoin de ça !". Du reste, man ti sonson attend de pied ferme sa prochaine facture EDF, et je ne parierai pas un euro sur ce qu'elle en fera, allumer son canari ou emballer ses épluchures, voire pire ...
On pourrait presque en rire, d'une telle farce, sauf que ....
Sauf que l'ensemble des habitants de Martinique a subi les conséquences de cette folie, à un moment où notre économie s'enfonce dans la fièvre de la récession, avec son train de licenciements, de fermetures de magasins, de dépôts de bilans, et, pour parler plus social et intime, de dépressions nerveuses, de colères singulières, de rancœurs, de tristesse et de désespoirs.
Il reste à espérer (le mot n'est pas trop fort) qu'il existe quelques sages au sein des instances négociatrices pour mettre un couvercle de raison sur cet imbroglio putride et qu'on puisse passer à autre chose de plus sérieux : créer des emplois, par exemple, ce qui serait, vous l'avouerez, plus conforme à une activité syndicale pour une centrale d'aussi grande renommée que celle dont ils est question.
Mais qui va payer les dégâts, maintenant ? Il nous reste, à nous, victimes non consentantes de cette sombre gabegie, à inventorier le préjudice moral, matériel, professionnel et social que nous avons subis, à prendre notre courage à deux mains, et, tout comme l'a fait la direction d'EDF, à porter plainte contre X pour les motifs cités plus haut.
Pas de violence, non, mais une détermination sans faille pour faire, nous aussi, valoir nos DROITS à la PAIX, et demander réparation pour ce que nous avons perdu matériellement, physiquement, et moralement.
Il ne s'agit pas de faire "grande bouche , petites mains"... mais pour une fois, LE FAIRE
-
Ceux qui veulent que ça "pète"
Il faut croire que les syndicats qui entraînent les grévistes à faire de la Martinique la capitale mondiale des grèves en tous genres veulent clairement amener la population à réagir avec violence, provoquant au gré des réflexions le sentiment d'une attente d'explosion. Ce qui les amènerait à exercer leur dictature de manière encore plus claire, comme ils le font depuis des années.
La revendication des bas salaires est une chose, lorsque l'échelle des revenus porte atteinte à la notion de justesse et de justice. Mais lorsqu'on a la chance d'avoir un emploi stable, un salaire correct et qu'on réclame toujours plus en prenant en otage ceux qui n'ont ni cette chance ni ces droits, on n'est plus en phase avec la notion générale d'une société. La situation générale moribonde de l'économie de la Martinique, dont les grèves sont autant la cause que le marasme économique général, ne permet pas d'exiger les largesses de salaires que les grévistes réclament, et sont une injure grave à ceux qui sont privés d'emploi ou dont les salaires sont limités par faute de valeur ajoutée. Et je ne parle même pas des artisans et des commerçants, qui, eux, dans leur grande majorité, ne peuvent même plus prétendre à avoir un revenu cohérent avec le travail qu'ils produisent.
Les revendications des grévistes d'EDF, mélangées savamment par les syndicats aux revendications plus économiques d'autres corporations artisanales, ont pour objectif avoué de provoquer la population, soit à réagir par la violence, soit à continuer à se taire, et par son silence, à approuver ce qui est aujourd'hui du domaine de la honte et de la provocation.
L'abus de droit est un délit (articles 1382 et 1383 du code civil) et les 29 pages de jurisprudence montrent bien à quel point la justice s'attache à en démontrer l'importance. Or cette situation, dans les conditions sociales et économiques que connait la Martinique, constitue de fait un abus de droit.
Ils veulent que ça passe ou que "ça pète". Mais si "ça pète", ce seront toujours les mêmes qui paieront, c'est à dire NOUS! Et cette fois, avec nos vies et celle de nos enfants.
Et de cela, il n'est plus question. Le "contrat moral" est rompu. Notre action au sein du groupe "oui au droit de grève, non aux blocages" vise à aider nos compatriotes, la population de la Martinique AVEC ceux qui ont choisi de partager son destin, d'où qu'ils viennent, à se réveiller de cette lente et longue maladie qu'elle subit depuis 150 ans : au prétexte d'être nu, d'être noir, d'être pauvre, ou je ne sais encore quelle "excuse historique", se croire impuissants à modifier le fil de nos vies, et subir depuis si longtemps toutes ces intimidations sociales, économiques, politiques.
Et se taire lorsque le bâillon économique est mis avec tant de violence sur nos bouches.
Et courber le dos sous la dictature de quelques roitelets qui prennent une élection syndicale comme étant une reconnaissance dynastique due par tous !
Et encore se taire devant le rouge d'un maillot parce que celui qui le porte se donne le droit de l'insulte à la couleur de peau, à l'origine du sang ou l'origine du sol, au métier, à celui qui fait commerce, ou encore au citoyen banal qui souhaite humblement vaquer à ses affaires.
Notre rôle a cette noblesse de vouloir réveiller ceux qui sont endormis par les effluves insanes du paraître et du non-dit, cachés derrière la compensation de la consommation à outrance, outils de gavage d'un élevage humain dressé à obéir à celui qui parlera le plus fort oui brandira la menace la plus cruelle.
Notre rôle serait idyllique si nous pouvions le faire avec douceur et amour. Nous le tenterons.
Non pas que nous serions des mous, des lâches, ou sans force: que non! notre pacifisme et notre retenue représentent une force bien plus grande que celles de nos bras ou des armes qu'ils pourraient porter, car la maîtrise de notre colère légitime par notre présence d'esprit et notre détermination ne trouve aucune équivalence en face de nous.
Nous sommes des enfants de Césaire, nous allons utiliser les mêmes armes que les siennes: le droit, la parole, les mots, la détermination, la ténacité, et suivre avec humilité son chemin du réveil. Et si ceux qui hier encore croyaient pouvoir cracher à la figure des peuples qu'ils oppriment par leur arrogance, leur insouciance et leurs égoïsmes, qu'ils sachent qu'ils ne le pourront plus le faire impunément .
Et si leurs insultes et leurs crachats demain nous atteignent parce que nous aurons fait écran à leur vindicte, alors ces stigmates deviendront pour nous signes de bénédiction, car ceux que nous voulons protéger aujourd'hui , ceux qui se terrent dans leur silence de damnés, oui, ceux-là nous sanctifieront, jusqu'à leur réveil, qui est lent et douloureux, comme notre colère est douloureuse aujourd'hui.
-
Haïti, c'était hier...
Il est des anniversaires dont on préfèrerait oublier la date et le nom. Il y a un an, le séisme de Léogâne (véritable épicentre des 35 séismes qui ont secoué Haïti) provoquait la mort d’au moins 300 000 personnes. Les jours qui ont suivi ont donné lieu à une importante manifestation humanitaire, venue de la plupart des pays du monde. L’aéroport de Port au prince est devenu rapidement le salon international de l’aviation de secours et des aides humanitaires, et, là comme ailleurs, les mieux organisés ont rapidement pris le pouvoir, organisant les autorisations d’atterrissage et de décollage, gérant la logistique locale …
Dans un pays où la vie et la mort se côtoient sans cesse, où la soumission aux aléas climatiques et sismiques est affaire divine à laquelle aucune volonté humaine ne voudrait dénier la réalité, il semble que personne n’ose se lever pour tenter d’inverser l’ordre des choses.
Une semaine après le séisme, je faisais une inspection des lieux que je connaissais près le Léogâne : léproserie des sœurs de la sagesse, hôpital, maisons de retraite… tout était détruit. La base avancée des hélicoptères canadiens était à 800 mètres, et les pilotes passaient au-dessus du centre hospitalier pour poser leurs appareils, mais personne n’avait encore vu qu’il y avait un hôpital juste en dessous, et que les malades n’avaient ni électricité, ni nourriture, ni eau… Il est vrai que les urgences étaient si nombreuses, si dispersées, si intenses que personne n’aurait été capable de donner un ordre de priorité ici ou là. Il fallait à longueur de journée chercher les vivants ensevelis, soigner les blessés, nourrir la population, trouver des espaces pour faire des camps, trouver de l’eau, gérer des besoins en énergie, transporter des secours, évacuer les étrangers, évacuer les blessés, opérer, amputer, ensevelir les morts, faire des voies de circulation, déblayer les ruines, construire des abris, trouver des fonds, trouver des spécialistes, les transporter sur place, construire des latrines, gérer la pluie, protéger les orphelins, les loger, les nourrir, trouver des grues, trouver des camions, puis l’essence pour les utiliser, débloquer le port, stocker les arrivages de denrées alimentaires, former des équipes de déblayeurs, leur donner les ordres, loger les équipes de secours, les nourrir, faire la police, distribuer les vivres, organiser les évacuations hors de la ville, informer, piloter, rencontrer, discuter, obtenir, contrôler, trouver des solutions, et recommencer le lendemain. Et rien n’avançait comme il aurait fallu. Les chaînes de décisions étaient rompues, les uns ne prenant les ordres que des autres, et, évidemment, les autres étaient morts, disparus, absents, pas là, pas concernés. Et il fallait multiplier tout ça par le nombre de pays qui voulaient « tout faire », se disant chacun plus fort, plus spécialisé, plus expérimenté. Malgré tout, au sein d’une telle pagaille, les choses ont pris leur allure. Un entrelacs de filières s’est mis en place, des zones ont été attribuées par pays, des spécialisations ont été exploitées avec intelligence, et si des rancoeurs ont pu naître, elles n’étaient pas le fruit d’une volonté de nuire, mais d’un souhait de mieux faire.
Un an après, des cadavres sont toujours enterrés sous les décombres, et les archives nationales dorment dans un conteneur prêté par un mécène. Il n’y a pas assez de grues, de camions, et d’argent pour financer l’énormité des travaux de déblaiement à réaliser. Je connais le dicton : ce que vous faites en une heure à Paris vous demande un jour à Fort de France et une semaine à Port au prince. Il faudrait alors 52 heures pour redresser une ville ? Bien sûr que non. Mais je suis toujours stupéfait de voir que l’on constate toujours plus vite ce qui ne va pas que ce qui a été fait. C’est vrai : il y a tellement à faire, et ce qui a été fait semble si dérisoire ! Alors ? Aurait-il mieux valu ne rien faire, puisque nous en sommes encore là ? Je revois encore la foule des volontaires d’Urgence Caraïbes dans les sous-sols du stade de Fort de France, s’affairer comme des fourmis à trier les dons et faire les palettes qui allaient partir sur le ventôse. Je revois les militaires, organisés comme dans une guerre, structurés en unités, à la chaîne de commandement lisse et docile. Je revois les soldats américains, leurs tentes climatisées, les moyens gigantesques qu’ils utilisaient. Je revois les petites sœurs de Cluny qui partaient à pied chaque matin avec leur sac de médicaments, leurs pansements et leur sourire pour aller soigner dans des endroits improbables des inconnus sortis de la mort dont le seul sourire pouvait récompenser une semaine de travail acharné. Je revois ces gendarmes français qui partaient chaque matin faire la tournée des crèches de la ville, quêtant les besoins, apportant çà et là les petits riens qui dans ces cas-là transforment toute une vie… nous avançons tous à notre petit pas, et chacun d’eux nous apporte la fierté de le rendre utile autour de nous. Je crois qu’il ne faut pas désespérer, la vie en Haïti a déjà repris le dessus, même si ce n’est pas à notre mesure ni au goût de nos habitudes.
J’enrage tout de même lorsque les rouages de la solidarité se grippent pour des raisons de pouvoir, de paperasses ou de priorités. Tout ce qui est fait avec amour doit être prioritaire, parce que tout ce qui est fait avec amour devient sacré. Toujours. Il y a 3 conteneurs de dons envoyés de Martinique qui dorment sous douane à Port au prince depuis 6 mois, faute d’une volonté suffisante pour les sortir et les livrer à la structure qui pourra les distribuer. 3 conteneurs ce n’est rien face à tout ce qu’il faut faire. Mais ces 3 conteneurs sont sacrés pour tous ceux qui ont fait en sorte qu’ils arrivent à bon port. Ils portent l’espoir …
-
De race en haine, de haine en peine, de peine en rien, de rien en vide
Plutôt qu'une réplique en supplique bien parisienne d'une Audrey rencontrée naguère , bien fière de sa réussite, à un pauvre type de la haute, endossé d'un habit de parfumeur, perdu dans ses strates embourgeoisées du 16 éme ,
plutôt qu'un emprunt à Césaire, à la malice négrière jetée par la promptitude des mots, au lyrisme jubilatoire que donne au poète l'arme du dire,
plutôt que les gaussements effarouchés de voix autrement silencieuses lorsque des massacres ordinaires éclaboussent nos journaux,
plutôt que les silences licencieux de ceux qui préfèrent se taire,
non pas par conviction, mais par peur de dire,
je préfère mes hurlements de rue,
mes colères publiques,
mes rages enrougissantes,
mes enrouements de voix
ma force à clamer mon indignation.
Non pas contre le racisme habituel que ce sot exprime dans son ignorance de l'autre,
Non pas contre le blanc ou contre le noir, après tout, nous sommes différents de peau, différents d'histoire, différents de races parce que nous l'avons tous voulu ainsi,
Non pas contre les appareils qui nous broient en faux mélanges absurdes, faisant de nos mixtures de peaux des sujets risibles victimes d'ironie et de camouflets,
maiscontre nos mensonges qui nous font croire identiques et nous ne le sommes pas.
contre notre promptitude à chercher race là où n'est que culture
contre notre facilité à passer de la race à la haineet de retour, après la haine, nos enveloppements de peine, subie en silence de la trahison de l'Homme.
Et puis avec l'usure et le temps, comme bannis de nous-mêmes, rouler la peine en rien, courber l'échine vers le néant, et se voir aujourd'hui, face à l'injure renouvelée, vides,
sans plus de voix pour hurler
sans plus de poings pour cogner
sans plus d'amour pour pardonner
et de laisser dire, au poète interposé, que le nègre t'emmerde...
alors qu'avec la même voix, la même force, elle pourrait pardonner, dire au sot sa sottise, et peut-être aller du vide au rien, du rien à la peine, et de reconstruire, peut-être, de la peine à l'amour. -
la lettre et l'universel
commentaire sur l'article concernant le prix AFD décerné à Raphael Confiant pour son livre "l'hotel du bon plaisir" dans "politiques publiques".
Les intitulés intestinaux glanés ici et là feraient sourire. Le colon, l'étron, crottes en somme en forme de déchets d'une société en fin de fermentation, qui expulse douloureusement semble-t-il des fécès longtemps cachés et devenant enfin visibles. Mais comme dans la plupart de ces déchets, on y fait pousser des roses, on y trouve parfois des diamants. Raphael Confiant serait peut être dans ce registre. Un descripteur, un analyste de société, sans doute, mais aussi imparfait que nous, montrant parfois de son être la brillance de son regard observateur ou quelquefois le trou de son cul.
Il traite les uns d'innommables, les autres d'étrons, il emploie des mots de caricatures en place des truculences de nos créoles, qui placeraient nos manaouas au ciel du seiziéme arrondisement, lesquelles se feraient coquer par des barons sudoripares dans des bordeaux qu'elles appeleraient vagabonnageries, et que les autres maquerelles citaient au nom délicieux de case à manaouas, en martinique, et de case à bobos en guadeloupe.
Qu'il engrange les fruits de son travail, ce n'est que justice, et si d'autres yeux ont vu dans sa prose des éclairages pittoresques du passé, et qu'ils l'en félicitent, tant mieux. Il n'y a pas là de quoi être jaloux.
Tant que les témoins de cette récompense n'y voient pas un blanc-seing à l'injure, une courte échelle au racisme primaire, un encouragement à l'ordure, fût-elle ordinaire, de nos jours ....
-
les mensonges de l'Histoire
Les plus monumentales des fautes humaines consistent à ne pas vouloir laver l'Histoire des miasmes qui la salissent, à refuser la rigueur des faits, à ne pas les dénouer des ressentis.
On finit par ne voir de la vérité que des crasses obscènes, des mensonges adulés et entretenus, et par léguer aux générations futures des galets de mémoire émoussés, aux faits mentis, qui finissent en interrogations inconscientes, en legs de non-dits qui tuent la spontanéité politique.
(c)- 03/2010 -
-
Vérité de Foi ou mensonge d'amour ?
On peut se dire amis. Il suffit de croire qu'on aime quelqu'un assez pour espérer que c'est réciproque. Des fois ça ne l'est pas. Ou ça ne l'est plus. L'ami(e) sincère le dirait clairement, avec plus ou moins de douceur, de "tact", comme on dit sous certaines latitudes aux parquets boisés, avec franchise au moins. Mais la lâcheté qui nous fait humains pousse à trahir l'amitié par un silence, un oubli, un dos tourné, ou plus simplement encore en ne répondant pas aux sollicitations sincères de celui ou celle qui croit encore avec naïveté à cette amitié. Les douleurs affectives qui en résultent sont lourdes, longues, et elles ne diparaissent qu'avec des calendriers comptés, plusieurs calendriers si l'amitié était sincère, plusieurs calendriers si c'était un mensonge d'amour, une illusion de partage, une vraie préhension de l'affectif de celui (celle) qui y puisait une éspérance de bonheur. c'était un leurre. C'était un jeu.
On peut se dire amours. Le jeu n'est plus un jeu. Le partage est profond, durable, chacun mettant dans la foi qu'il porte à l'amour de l'autre tout ce qu'il croit y puiser qui a une importance. Il (elle) en fait une oblation, il (elle) en donne une mesure d'offrande posée sur un autel à la prière de ce qui le (la) lie à l'autre. Un sacrifice. Ce mot là en fait toujours sursauter quelques uns ou quelques unes. Cela ne m'étonne pas : le sacrifice est une légende d'un autre temps, l'on ne retire rien de soi, ni le temps, ni les choses, ni les convictions, car l'amour n'a de valeur aujourd'hui qu'à condition de ne rien coûter. Enfin, c'est ce que j'entends de certains de mes contemporains, et de beaucoup de plus jeunes que moi.
Mais c'est faux. La condition qui nous fait mériter l'amour de l'autre est celle de ce que l'on est capable d'y sacrifier, d'offrir, de compenser de ce que l'on est de soi-même et qui ne serait pas compatible avec ce que l'on aime chez l'autre. Les femmes savent mieux y voir que nous les hommes, à ce jeu. Il n'y a qu'à comptabiliser le bonheur que le commerce santo-valentinois suscite auprès de ceux qui y sacrifient quelques pécunes, une tablée de restaurant, un bijou, ou quelque autre chose qui "ferait plaisir" . J'ai lu sur un blog quelques relations de femmes aux offrandes reçues à ces occasions. Leurs confidences en font le plus souvent une misère aux efforts de leur amoureux, lorsque ce n'est pas une comptabilité en règle, du genre "il m'a offert une bague. Comme à noël. Il ne vaut que ça, son amour ?"
L'amour se signe en actes de foi. Tout le monde ne sait pas y faire. J'ai un souvenir de fleurs cueillies à l'arrache dans un champ de fin d'été qui ont eu plus d'effet qu'un bouquet ordonné et dispendieux acheté sur un boulevard à l'occasion de cette "fête". Le temps que j'y avais consacré ? Le choix des fleurs des champs, parures minables mélées d'épis sauvages ? La misère de ma brassée à la porte ouverte ? Elle m'avait sauté au cou, ravie de ma collecte, plus heureuse que si je lui avais offert un diamant. Je suis resté marqué par cette simplicité, elle y avait vu la vérité de ma foi en elle. Mille ans plus tard, je doute du cadeau "à faire". Je préfère lui consacrer ce que je suis, poser dans le panier de ce qui fait notre amour la franchise de mes idées, le curage de nos casseroles, l'écoute de ses histoires, l'éffleuré de ses caresses, et si elle préfère trouver un contentement à dévorer une salade landaise dans le boui-boui d'à coté, alors je l'y emmenerai sans discuter, le jour qu'elle le voudra. Pas forcément le 14 février. -
Yom Kippour
le jour du "pardon" (Yom Kippour), on chante le Kol Nidrei (tous les souhaits). Mais peu de gens connaissent la traduction française de ce texte chanté avec tant de solennité. La voici :
" Tous les vœux que nous pourrions faire depuis ce jour de Kippour jusqu'à celui de l'année prochaine (qu'elle nous soit propice), toute interdiction ou sentence d'anathème que nous prononcerions contre nous-mêmes, toute privation ou renonciation que, par simple parole, par vœu ou par serment nous pourrions nous imposer, nous les rétractons d'avance; qu'ils soient tous déclarés non valides, annulés, dissous, nuls et non avenus ; qu'ils n'aient ni force ni valeur ; que nos vœux ne soient pas regardés comme vœux, ni nos serments comme serments"....
Tout ce que nous pourrions souhaiter de bien ou de mal pour nous-mêmes n'a pas de valeur de serment. Autrement dit, un croyant de la thora ne peut se renier, ni renier ce qu'il croit, ni renier ce qu'il est.
Est-ce pour cette raison que les juifs sont autant persécutés ? Faut-il comprendre que l'impossible reniement attesté par cet acte de foi (qu'est-ce d'autre, sinon cela ?) rend illusoire toute pression, toute persécution, toute obligation de renoncer à sa "religion" (entre guillemets, car pour de nombreux docteurs de la Loi, l'appartenance au judaïsme n'est pas l'appartenance à une religion, mais à un peuple) ?
Quid, alors de tous ceux qui avaient un nom hébraique et qui ont été convertis de force ? Quid, alors, de tous ceux qui ont été assassinés par les ultras de toutes nations ? De par l'énoncé de ce serment, fait le jour du Pardon, tout reniement futur est inutile et d'avance forfait...
Donc, et ce sera ma réponse à tous ceux qui disent aux "anussim" (les violés) ou aux "marranes" (les cochons, en espagnol), qui portent en eux un nom hébraïque qui leur a été transmis par leurs parents, dont les ancêtres ont été massacrés ou convertis de force, qu'ils ne "sont" pas juifs et qu'ils doivent se "convertir à la religion juive" pour redevenir juifs: le reniement étant impossible à cause du serment du jour du Pardon, tous ceux dont les ancêtres ont subi une obligation de renoncement à ce qu'ils étaient, et qui ont été, par la force, obligés de recevoir un baptème, ceux là sont déliés de ces obligations, parce que rien, ni aucun serment ne peut être tenu contre eux-mêmes, sinon d'accepter leur condition initiale, celle des gènes qui les ont créés, depuis le jour où un homme reçut un autre Serment, eternel celui-là, et pour lequel ses descendants ne peuvent plus se renier, eternellement.
Je suis de ceux-là. D'autres, qui portent mon nom, ont péri dans les chambres à gaz, ont été assassinés dans leur maison, dans leur ville, ont été spoliés de leurs biens. Ceux-là étaient ou n'étaient pas croyants. Ce n'est pas cela qui les a tué. Seulement leur nom, seulement leur manière de vivre. Seulement à cause du serment solennel de ne pas se renier, ni de se maudire, ni d'espérer être sauvés. Parce qu'ils portaient ce nom, que je porte aussi, et qui pèse depuis longtemps de ce poids dans ma conscience et dans mes actions.
Mon père, qui m'a donné mon nom, le savait, et il me l'a dit. C'est à lui que je pense aujourd'hui. A lui et à tous ceux qui portent mon nom et qui récitent ou chantent le Kol Nidrei en ouvrant le jeûne en ce jour de Yom Kippour. -
Des quais de gares
Tous ces gens qui se cotoient, ce fourmillement de consciences qui vont et viennent sur les quais des gares, rencontres muettes et instantanées entre ceux qui partent ailleurs, et ceux qui en reviennent. Ces sourires, ces pleurs, ces rages d'amours qui se finissent là, étirés par le rail étendu. Et les agents des gares, qui chargent sans le savoir dans leur coeur ces témoignages vivants, croyant sous leur casquette ne pas en être émus, et qui solidifient les émotions qui les traversent comme un ciment inaltérable.
Il faut voir tous ces regards, les capter à l'instant où ils se croisent avec les autres, capter le fugace d'un étonnement, l'étincelle de l'envie, le froncé de sourcils et puis l'instant d'après l'oubli de ces rencontres multiples et incertaines.
On se surprend des complicités des voyageurs, l'instant d'avant inconnus, l'instant d'après devisant comme de vieilles connaissances, captés les uns et les autres par cette brêve aventure commune et croyant que l'excitation du voyage les baigne dans une communauté nouvelle: le train.
Mais je me suis pris à ce jeu, prisonnier de la foule des accompagnants, agitant la main pour dire au revoir à l'être cher qui était maintenant enfermé dans la voiture, aussi muet que lui par le bruit de la gare et l'épaisseur de la vitre, pendant que le convoi prenait doucement son allure. Je me suis surpris à croiser son regard comme les autres en faisaient autant, certains avec des larmes silencieuses, d'autres avec des sanglots de tragédie. Un instant ses yeux ont croisés les miens, puis tout a disparu, et mouton dans un troupeau sans maître, j'ai suivi la marche du quai, croisant des yeux les nouveaux arrivants qui partiront dans un autre train, et qui revivront les mêmes scènes, indéfiniment, jusqu'à la nuit, avant que demain tout recommence...
Nous sommes ainsi faits, sans bien nous rendre compte de tout l'amour qui suinte au petit matin sur les quais des gares, aura volatile de tous ces sentiments échangés, partagés, qui ne laissent aucune trace, sauf, peut-être, dans l'humide d'un mouchoir oublié qui roule avec le vent que font les trains, lorsqu'ils disparaissent dans la brume du bout des quais ...