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juif

  • Yom Kippour

    DSCF0985.JPGle jour du "pardon" (Yom Kippour), on chante le Kol Nidrei (tous les souhaits). Mais peu de gens connaissent la traduction française de ce texte chanté avec tant de solennité. La voici :

    " Tous les vœux que nous pourrions faire depuis ce jour de Kippour jusqu'à celui de l'année prochaine (qu'elle nous soit propice), toute interdiction ou sentence d'anathème que nous prononcerions contre nous-mêmes, toute privation ou renonciation que, par simple parole, par vœu ou par serment nous pourrions nous imposer, nous les rétractons d'avance; qu'ils soient tous déclarés non valides, annulés, dissous, nuls et non avenus ; qu'ils n'aient ni force ni valeur ; que nos vœux ne soient pas regardés comme vœux, ni nos serments comme serments"....

    Tout ce que nous pourrions souhaiter de bien ou de mal pour nous-mêmes n'a pas de valeur de serment. Autrement dit, un croyant de la thora ne peut se renier, ni renier ce qu'il croit, ni renier ce qu'il est.

    Est-ce pour cette raison que les juifs sont autant persécutés ? Faut-il comprendre que l'impossible reniement attesté par cet acte de foi (qu'est-ce d'autre, sinon cela ?) rend illusoire toute pression, toute persécution, toute obligation de renoncer à sa "religion" (entre guillemets, car pour de nombreux docteurs de la Loi, l'appartenance au judaïsme n'est pas l'appartenance à une religion, mais à un peuple) ?

    Quid, alors de tous ceux qui avaient un nom hébraique et qui ont été convertis de force ? Quid, alors, de tous ceux qui ont été assassinés par les ultras de toutes nations ? De par l'énoncé de ce serment, fait le jour du Pardon, tout reniement futur est inutile et d'avance forfait...

    Donc, et ce sera ma réponse à tous ceux qui disent aux "anussim" (les violés) ou aux "marranes" (les cochons, en espagnol), qui portent en eux un nom hébraïque qui leur a été transmis par leurs parents, dont les ancêtres ont été massacrés ou convertis de force, qu'ils ne "sont" pas juifs et qu'ils doivent se "convertir à la religion juive" pour redevenir juifs: le reniement étant impossible à cause du serment du jour du Pardon, tous ceux dont les ancêtres ont subi une obligation de renoncement à ce qu'ils étaient, et qui ont été, par la force, obligés de recevoir un baptème, ceux là sont déliés de ces obligations, parce que rien, ni aucun serment ne peut être tenu contre eux-mêmes, sinon d'accepter leur condition initiale, celle des gènes qui les ont créés, depuis le jour où un homme reçut un autre Serment, eternel celui-là, et pour lequel ses descendants ne peuvent plus se renier, eternellement.

    Je suis de ceux-là. D'autres, qui portent mon nom, ont péri dans les chambres à gaz, ont été assassinés dans leur maison, dans leur ville, ont été spoliés de leurs biens. Ceux-là étaient ou n'étaient pas croyants. Ce n'est pas cela qui les a tué. Seulement leur nom, seulement leur manière de vivre. Seulement à cause du serment solennel de ne pas se renier, ni de se maudire, ni d'espérer être sauvés. Parce qu'ils portaient ce nom, que je porte aussi, et qui pèse depuis longtemps de ce poids dans ma conscience et dans mes actions.

    Mon père, qui m'a donné mon nom, le savait, et il me l'a dit. C'est à lui que je pense aujourd'hui. A lui et à tous ceux qui portent mon nom et qui récitent ou chantent le Kol Nidrei en ouvrant le jeûne en ce jour de Yom Kippour.

  • La lettre pour Edith

    DSCF0004.JPGJ’imaginais au cours d’un voyage que tu aurais pu fouler la poussière de ces chemins rendus roses par la pierre si particulière de Jérusalem. Je fermais les yeux quand je me reposais sous les figuiers du sentier. J’imaginais te voir, petite fille, marcher avec les autres enfants du kibboutz au croisement des ombres des arbres, avec une petite robe et des sandales de cuir blanc, tenant dans ta main des fleurs cueillies au bord des champs, entre les pierres, guidés par ces jeunes filles au visage bronzé.

    L’autre jour, les photos passées qui posent le regard dans ton séjour avaient attiré mon attention. J’y avais rencontré les traces de ton histoire, avant que tes confidences étreignent ma mémoire, avant que s’épanchent tes mots pour me dire ce qui avait fait ta vie, et comment les éclats du temps avaient bouleversé ton monde, ton histoire, celle de tous, finalement.

    Tu aurais pu être cette petite fille, il y a soixante ans, qui allait avec les autres enfants porter quelques fleurs à Ben Gourion, au moment où les Rescapés allaient fêter la création du Pays, le havre attendu depuis deux mille ans. Tu ne le savais pas. Tu avais appris à suivre des chemins détournés, tu avais obéi avec confusion aux injonctions qui disaient que nulle part il ne pourrait y avoir une place, ta place, sinon par des jeux de ruse, par les truchements de compromissions qu’il ne fallait pas chercher à comprendre, moins encore à dominer. Tu avais construit ta vie comme des sauts entre des trains en marche, attrapant ici et là des occasions de mieux être, profitant de visions infimes d’un avenir meilleur. On regarde toujours le monde par le bout de sa vie, et il n’est pas donné souvent d’avoir des indices forts pour donner d’autres choix, sinon de rencontrer ceux qui nous bouleversent et nous ouvrent des yeux que nous gardions fermés. Nous avons peur parfois de la lumière, comme nous croyons avoir peur des ombres.

    Tes pas de petite fille n’ont pas foulé la poussière millénaire des kibboutz. Ils ont suivi la boue des chemins des campagnes de France. Ils ont martelé le plancher des trains à vapeur. Ils ont glissé sur les parquets cirés des écoles de filles. Et toi tu n’imaginais même pas que ta place aurait pu être ailleurs, autrement, jusqu’au jour où tu as retrouvé au fond d’une boite de couture le morceau de feutre jaune taillé en étoile, avec le mot « juif » brodé en travers.

    Alors le monde a changé. Les rideaux opaques de l’Histoire sont tombés, et une autre lumière est entrée dans ton coeur. Plus forte, plus douloureuse, plus vraie. Et depuis ce jour-là, le bleu du ciel n’a plus jamais été le même. Ton univers a pris corps, les montagnes que tu voyais sont devenues des tours, les chants devenaient des cris d’amour ou de victoire, et tout ce que tu as fait depuis s’est calé comme une pièce exacte dans un montage immense dont tu ignores le sens mais que tu sens devoir faire plus que tout…

    A ce point du chemin, soixante ans après, on se demande toujours pourquoi on est là et pas ailleurs. On se prend à croire qu’on aurait pu être cette petite fille qui tendait les fleurs au grand homme. Tu aurais pu être la même femme, soixante ans plus tard, habitant à Beersheba, et tu te prends à imaginer un croisement de vie différent et impossible. Il n’y aurait rien eu d’absurde à y croire. Cela aurait tenu à si peu ! le regard d’un policier, un tampon d’encre noire effacé d’une carte d’identité, une étoile jaune cachée, des solidarités différentes, un train manqué, peut être. Mais tout aurait été aussi si difficile à changer ! le monde était comme il était. Moi je n’existait même pas, et toi tu étais si petite. Et rien ne pouvait rien mouvoir de ces carcans qui se dressaient contre les hommes et les femmes, de ces carcans qui ont forgé ce que nous sommes aujourd’hui. On se dit aussi que nos destins sont si ténus, qu’ils tiennent à si peu de choses, que notre obéissance à cet Inconnu est finalement bien grande, malgré nous, puisque nous ne sommes pas si certains d’être capables de revendiquer autant de liberté.

    Je n’ai pas retrouvé les fleurs du bouquet que cette petite fille aurait tenues. J’aurais voulu te les offrir pour cet anniversaire si particulier. J’aurais voulu télescoper quelques instants les univers du possible et ceux de nos rêves, mettre à la place la bienveillance que nous devons à nos âmes.

    Bon anniversaire, Edith.