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  • Le syndrome de jerusalem

    ils arrivent en general avec le sourire aux levres, l'air narquois de ceux qui croient avoir tout connu. ils entrent dans la ville avec l'air beat des aventuriers qui ont lu quelques articles de presse occidentale avant de grimper dans un avion bonde, faisant valoir leur statut touristique en termes d'arrogance. Puis, apres avoir parcouru quelques rues de la vieille ville, maraude dans le souk a la recherche de tresors depuis longtemps disparus, ils arrivent par la porte de Jaffa, descendent en rigolant un peu moins les marches millenaires de la tour de David, et lorsqu'ils debouchent sur l'esplanade du Mur, restent interdits de longues minutes, bouche bee, en se demandant ce qui leur arrive. ils sont attires comme des mouches vers ce symbole incomprehensible, ces quelques centaines de grosses pierres alignees les unes aux autres. ils s'approchent avec hesitation, ils touchent le mur, et les larmes montent de leur coeur, s'epanchent sur leurs joues en silence, comme une maree salvatrice. Et ils ne comprenent pas ce qui leur arrive, ils ne sont pas croyants, encore moins religieux, mais, sans avertir, leur corps trahit les emotions ancestrales et s'epanche quelquefois avec force. Il en est de meme pour ceux qui entrent dans les eglises, les temples, les synagogues ou les mosquees. Alors, ils se tournent vers le soleil couchant en se demandant ce qui leur arrive. Le temps qu'ils resteront a Jerusalem, ils sentiront cette emotion a chaque pas, a chaque regard jete sur les oliviers, les pierres, les gens, jusqu'a la complete reddition de leur orgueil et de leur arrogance. Jerusalem est une ville dans laquelle on ne peut entrer sans humilite et sans respect. Pablo Robinson - (c) 07/2005

  • Terre sainte ?

    Après 12 heures de vol, l'avion survole des étendues bleues, puis ocre jaune. Dans un crissement de pneus, il finit par toucher la piste. Hébété, marchant comme un robot, je suis les gens qui descendent de l'avion et empruntent les couloirs de ce tout nouvel aéroport, construit dans les dunes qui entourent Tel Aviv... Des immeubles dressés au milieu des dunes de sable, sous un soleil que je sens implacable, et tout cela traversé par des autoroutes, avec au milieu ces foules disparates et éclectiques... laissez moi me remettre. Je suis arrivé sur la terre qui a suscite le plus grand nombre de guerres, là ou se sont sacrifiés le plus grand nombre d'humains..... Un sol ingrat, un ciel implacable, et pourtant on s'y presse pour y trouver la sanctification de l'invisible.....

    ©Pablo Robinson-07/2005

  • Tyran de pelouse

    Il faut être dingue ou plein aux as pour avoir une pelouse sur une île tropicale. Il me fallait un matelas de verdure rase où reposer mes yeux le soleil couché… Je passe sur les dizaines de camions qui ont bouché le trou béant qui bordait la maison. Et sur les jours entiers à racler le sol pour en tirer un arrondi parfait, comme le galbe du sein d’une femme. Et l’attente à tourner en rond pour que la pluie vienne : non je déconne. La courbe était là, ratissée et douce, et moi j’étais presque heureux. Evidemment, elle a poussé l’herbe, enfin, les herbes. Les graines de gazon, qui font des pelouses comme sur les magazines, c’est bon pour les magazines, pas pour une pelouse perdue au milieu de l’Atlantique. Donc des herbes ont poussé, comme des anarchistes, en bandes, par paquets. Des avec des feuilles larges, des avec des pousses pointues, des jaunes et des vertes. Un jour, sentant que tout cela était mûr pour une première moisson, j’ai aiguisé ma tondeuse, tiré sur la ficelle, attendu que le ronron se stabilise, et flac ! j’y suis allé. En dessinant un cercle concentrique, laissant ça et là des plantes qui font des fleurs oranges et qu’on appelle ici des oiseaux du paradis. D’un coup je me suis senti puissant, effaçant d’un passage soixante centimètres de verdure poussée, laissant au ras du sol des touffes alignées à la hauteur de la faucheuse, satisfait enfin de me croire capable de dompter la nature, dans cet environnement luxuriant, où les arbres montent comme des flèches de cathédrales, laissant sous eux des frondaisons obscures pleines d’oiseaux, de bruits et de bestioles bizarres. Aujourd’hui c’était jour de tonte, j’avais attendu la fraîcheur sérénale pour monter et descendre ma petite colline de pelouse, domptée depuis longtemps. Dans ma solitude de faucheur, je me sens dominateur, le temps d’une ballade en rond, le temps de croire que je pourrais maîtriser le monde avec une tondeuse géante, mettant tout ce peuple ingrat à l’échelle zéro, donnant à chacun une nouvelle chance de partir au même niveau que les autres. Mais en poussant la machine, je me dit que, comme de tondre l’herbe, ça deviendrait vite ennuyeux. De toute façon, à voir les repousses aux aléas des sécheresses et des pluies, on comprend vite que tyran de pelouse, c’est un boulot idiot, la Nature dictant à tout sa forme de liberté et à chacun celle d’y croître. Pablo Robinson

  • Jour de rien

    C’est comme ça, sans raison valable. Le réveil est épouvantable pour commencer. Impossible de rester dans l’espèce de cauchemar qui s’était installé entre mon oreiller et moi. Un œil ouvert pour apercevoir par la fenêtre que pour une fois depuis huit jours, le soleil est là. Puis mes yeux se referment pour un moment. Au diable le tic tac qui presse ce qui passe en comptage de temps. Ça y est, je sens la mauvaise humeur qui s’installe. Le cauchemar, une sombre histoire de bête que j’essaie de tuer mais qui ne veut pas mourir est encore là, à me percer la raison, à m’énerver et enfin voilà, je me décide. D’un coup, assis au bord du lit. Ouaille ! C’était ça ! un torticolis pernicieux me ruine l’épaule. Je lève le rideau. Le soleil est bien là, il inonde la terrasse et fait briller les feuilles des arbres en face de moi. Et aussitôt tout ce que je ne veux pas de la routine m’assaille : la douche sous l’eau tiède, les ablutions devant le miroir, les rides chassées comme des parasites, le brossage tout aussi maniaque des dents. Et pendant l’agitation frénétique de la brosse, arrive l’envie d’un seul coup de me retrouver au cœur de Paris à faire du roller avec une amie dont l’image soudainement venue à l’esprit me creuse la tête comme une vrille. C’est comme ça. Elle ne comprendrait pas un truc pareil. Faut être seul trop longtemps pour assumer ce genre de truc. Et encore… la solitude ce n’est pas forcément l’absence d’un environnement de gens. Il y a des foules entières au sein desquelles on rencontre des gens encore plus seuls que s’ils avaient été abandonnés sur une planète d’un système solaire oublié. Je la vois, là, entre la faïence du lavabo et moi, comme si elle me regardait, avec ses cheveux noirs qu’elle aurait coupés, mais c’est comme ces fichus cauchemars, elle est là, mais je ne vois pas ses yeux, je les sens juste qui me regardent, je la sens qui me sourit, et ça me fait des nœuds dans les tripes. Allez, soupire un bon coup, ça va passer. … C’est passé. Mais ce regard perdu m’obsède. Sans comprendre je me sens inutile toute la journée, et je fais tout avec un sentiment de perdre mon temps qui me rend encore plus morose. Pourquoi rêver ? Elle est ailleurs, à des milliers de lieues, elle fait sa vie sans imaginer même que je puisse y penser, elle tape sur son ordinateur comme tout le monde, elle s’est fait une vie avec un homme comme elle disait, elle en a eu un enfant, et voilà. Mais pour le coup j’aurais aimé qu’elle le sache, que d’aussi loin on pouvait penser à elle. Faut pas chercher dans ces cas là. Penser à quelqu’un comme ça, ça ne prouve pas qu’on serait des amis, de ces vrais amis solides pour qui cette amitié là serait plus forte que des années d’absence. Et c’est probable que plus près d’elle d’autres pensent à elle comme moi, mais plus près, assez près pour lui dire, tiens ! Et elle, elle s’en fout probablement comme de la première tasse de thé. Mais quand même. C’est pas très normal que je reste dans ce doute, celui de penser dans l’inutile, dans le fluide du temps. Ce qui pourrait faire une certitude, c’est de savoir en retour qu’elle aurait pensé à moi au même moment. Ne pas le savoir, c’est comme si je vivais un jour de rien. Pablo Robinson

  • Sahel

    Entre Tchirozérine et Rharhous... Quelque part entre deux mondes, celui du sable et celui de la terre, entre le sec et le moins sec, là où dorment des fleuves de sable, éveillés quelquefois par un orage lointain qui éclate dans le massif de l'Aïr...

    Et là, à deux cent mètres sous la roche, dorment des millions de litres d'eau douce, fraîche, fossile. Une eau qui a vu mourir les derniers dinosaures, une eau vers qui va le trépan du forage...

    Depuis des semaines, les pointes d'acier rognent le silex et le quartz. Il y a quelques heures, le tube a disparu avec un bruit de moteur qui tourne dans le vide.

    Depuis un mois, la pompe tire l'eau des profondeurs. Les spores déposés dans l'obscurité de la préhistoire ont commencé à produire des algues vertes et violettes, le bassin de décantation a transformé le désert en paradis, et des centaines d'animaux sortis de nulle part viennent y boire au lever du jour : tourterelles, outardes, corbeaux, aigrettes.

    Le chantier avance, et chaque jour l'eau nouvelle se rapproche du village prochain, sous les 56° qu'annonce le thermomètre.

    Un homme aborde la voiture le long de la piste. Langage Bouzou incompréhensible, mélange de Touareg et de patois Masaï. Il supplie de descendre de la voiture, de rentrer sous la tente sombre en laine de chameau.

    Une fillette est là, allongée sur le sol, la bouche entrouverte, les yeux révulsés. Pas de fièvre, mais elle délire dans un coma de déshydratation. Vite, avertir le père d'attraper une chèvre de son troupeau et de la traire, frictionner l'enfant pour tenter de la réveiller, lui donner quelques gouttes de lait. Pas de réaction. La prendre dans les bras, monter dans la voiture, et foncer à travers le désert jusqu'au bout de la piste, à 50 kilomètres...

    Pendant que le chauffeur se bat contre les trous et les bosses, il faut maintenir ce corps décharné et inerte contre ma poitrine, lui donner dans les cahots des espoirs de survie insensée avec des caresses qu'elle ne sent pas, avec des mots bercés qu'elle n'entend pas, avec des gouttes d'eau qui coulent de ses lèvres et retombent sur ses joues, se battre contre le temps, allez, plus vite, oui, comme çà, passe par là, pourvu qu'on arrive à temps, çà y est , la piste s'ouvre, on voit les cases dans les branches des épineux...

    Elle respire doucement, elle ne sait pas... Elle vit encore. La sœur qui s'occupe de ce poste de secours du bout du monde reçoit l'enfant comme un cadeau, elle l'emporte et la couche sur le brancard, me dit de rester dehors, sous les palmiers de l'oasis. Les villageois apportent le thé jaune et fort, le père sourit un peu dans ses larmes.... Il regarde autour de lui, avec des yeux en forme d'excuses, comme si l'agonie de sa fille était de sa faute. Le marabout est venu prier avec lui.

    Le jour s'épuise avec le silence du désert. Peu de paroles. Des regards, intenses, purs, des regards de marins qui traversent les tempêtes...

    Il faut repartir sur le chantier, continuer à poser les tuyaux dans le sable, faire avancer l'eau du bout de l'Histoire vers le bout du monde, vers les hommes.

    Malgré les efforts, la petite fille n'a pas survécu. Les parents ont consolé leur peine avec les mots du Coran, avec les prières murmurées les mains ouvertes, en regardant l'Est et l'Ouest, en aimant encore plus les autres enfants, malgré la pauvreté, la maladie, l'ignorance.

    Et nous, les hommes venus d'ailleurs, gens d'un autre monde, nous avons cherché le souvenir de ce corps chaud et doux dans le creux de nos bras, nous avons pesé le silence de ce silence abandonné à nous pour toujours... Nous avons juré dans nos âmes que jamais l'enfant du Sahel ne serait oublié, qu'aucun découragement ne pourrait effacer le sacrifice innocent d'une vie contre rien. Et pourtant...

    ©Pablo Robinson-07/2005

  • Le temps qui reste

    Il nous reste quelques années avant le grand basculement vers un autre avenir il nous reste du temps. Quelques jours encore pour aimer les oiseaux courir au fond des bois, dire la vérité. Quelques heures au surplus pour faire une prière avec les mains tendues, pardonner à hier quelques pas de danse pour inviter le monde à marquer la cadence oublier ce qui compte Quelques secondes encore et l'année est finie et la sueur versée emportée dans l'oubli c'est à la porte c'est le temps de venir le temps qui nous emporte vers celui à venir Pablo Robinson © 10.01.1996

  • Les voleurs

    Le téléphone a sonné dans la nuit. Hébétude de veuve éveillée en sursaut dans sa maison solitaire, où tout est souvenir de temps à peine oubliés, de présences recherchées en forme de fantôme espéré et évanoui, trop loin dans le temps pour se rappeler de son visage, de ses mimiques. Les gendarmes appellent depuis l'autre bout du pays, là-haut, dans les montagnes, haut lieu de la famille depuis tant d'années. Venir le plus rapidement possible. La maison cambriolée. La route à faire. Trop loin pour partir tout de suite. L'aube transforme les ombres nocturnes des arbres du jardin, ombres chinoises sur la pâleur du ciel. Nouvelle tristesse, en attendant de comprendre les sons qui sont sortis du plastique de l'appareil. Nouveau choc de comprendre que quelque chose d'autre sera perdu à jamais, choses de la vie, marquées du passage de sa main, façonnées par le temps vécu en famille, maintenant laissées par des odeurs de meubles, des usures conservées comme des reliques d'un amour éprouvé, bâti en tant d'années de partage avec un homme maintenant disparu, et qui était devenu avec le temps un ami plus qu'un époux, un père plus qu'un amant, ombre insoluble des pensées de chaque instant... Le moteur arrêté de la voiture cliquette en refroidissant. Le crépuscule de la montagne et l'air vif du nord réveille les sens après la longue somnolence de l'autoroute et les luttes contre le sommeil dans les épingles des cols à franchir. La porte a été arrachée par les cambrioleurs, et la lumière crue de l'ampoule électrique inonde la terrasse dans la nuit étoilée. Le cauchemar commence. Entrer dans la maison pillée, vidée des meubles anciens, sans plus aucune marque pour fixer le passé et le présent. Marcher dans les débris de vaisselle, ramasser çà et là une photo souillée de la boue d'une chaussure, une carte de jeu, une lettre d'amour ancienne jetée comme une ordure avec le reste du sac de la maison. Les nerfs ne peuvent tenir longtemps au train de la prise de conscience du viol de tant de secrets du passé, de tant d'instants de bonheur arrachés aux freins de sa mémoire, et les larmes montent, brûlées par la fatigue, condensées par la honte de savoir sa mémoire violée par des inconnus, sans rien d'autre que cette agression mentale si forte, parce qu'elle est découverte après l'acte, sans douleur, sans action... Elle reste de longues heures le regard dans le vide, ignorant les caresses de ses enfants, refusant le semblant de dîner sur la table en plastique laissée par les voleurs. Ils ont aussi pris la pendule, "sa" pendule, qu'il remontait si soigneusement chaque soir, et qui était restée arrêtée depuis qu'il avait disparu. Le sommeil finit par la prendre, effondrée dans le fauteuil en osier, au petit matin, aux dernières lueurs des braises du foyer de la cheminée. Dans le silence des pièces devenues sonores rôdent pour quelques temps des éclairs de rage étouffée, de colère rentrée, de désespoir lourd d'un nouveau deuil, de l'arrachement de la matière après l'arrachement de l'être aimé, des traces d'un testament des choses devenues invisibles, retenues par d'autres mains impures, spoliées du respect que l'on doit aux objets quand ils sont baignés d'amour et de tendresse. Elle reprendra la route du nord, laissant à ses fils les tâches ingrates des constats, des rangements, des vides à combler avec des meubles qui n'auront pas d'histoire, des ambiances perdues qu'il faudra encore enterrer quelque part dans sa mémoire de fille, de femme et de mère, qu'il ne faudra plus appeler en souvenir comme un baume apaisant les souffrances de la solitude. Il ne restera décidément rien qui ne pût être caché dans l'intimité de son amour aujourd'hui rendu à l'éternité, comme une punition invisible pour une faute inconnue, par la main des voleurs, visages inimaginables, invisibles, passeurs instantanés de la teneur de la vie au grand rien silencieux, cauchemars du mental à jamais éveillé. Ils riront de leur nouvelle prouesse de lâches, souhaitant sans doute encore casser une maison isolée, ignorant les griffures éternelles qu'ils tracent dans l'Invisible, traces marquées d’opprobre et de honte, meurtriers de l'histoire des hommes, annihilateurs des jalons que d’autres placent dans l'espace-temps pour donner à leur vie des bornes de repérage pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Pablo Robinson