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  • ça va pas le faire, ce voyage

    Ca faisait un moment que l'envie montait, sourde, muette, à petits pas comptés. L'envie d'écrire. J'avais lu dans des blogs voisins que certains expliquent cette rongeuse maladie de taper sur un clavier et de fixer les mots sur des vitres d'écran en voulant faire croire à un désir d'affirmation de soi, un songe éveillé de se vautrer dans le public, et, quelquefois, de montrer à des yeux non vus ce qu'on ne montrerait à personne finalement (faut dire que c'est exactement ce qui se passe, réflexion faite). mais il fallait d'abord mûrir la réflexion.

    Après donc un voyage hors du temps (voir le syndrôme de Jérusalem), et une retraite dans les hauteurs creusées des Pyrénnées, j'ai fini par prendre la bretelle de la boîte de mon violoncelle dans une main, une valise (ô combien pratique cette valise !!!) dans l'autre, et, ainsi arnaché, je suis descendu dans la plaine, j'ai rejoint la rose Toulouse, et réussi à embarquer dans un TGV une veille de 15 aout. En montant dans la rame, je pensais très fort à une amie chère mais absente, que j'aurais pu croiser dans le couloir, elle en roller et poussant poussette, et moi avec mon violoncelle de voyageur, et je me disais qu'on aurait rigolé cinq minutes avant d'arriver à nous entendre sur la place à prendre. bref.

    Après un moment de silence partagé par les compères de la voiture, une Anglaise a entamé le débat avec le contrôleur, à mon sujet, tiens, puisque j'étais sensé avoir pris sa place. Il a fallu faire admettre audit contrôleur que le train était monté à l'envers, et que les numéros de voitures indiqués sur le quai étaient diamétralement opposés à ceux indiqués sur les voitures, ce qui fait que finalement, mon violoncelle et moi étions billetement à l'opposé de là où nous aurions dû être, mais que l'indication offerte à la vue des voyageurs étant celle du quai, j'étais dans le bon droit de la bonne foi, et que la voiture étant selon les optimistes à moitié vide, et selon les pessimistes à moitié pleine, l'autre moitié pouvait de la sorte être offerte à la gent Anglaise, laquelle accepta de bonne grâce.

    Passons. A Agen, un homme agé monta et, placé  près de moi, entama une discussion en anglais avec mon hôtesse (finalement je me considérais comme son invité, et elle la mienne - non, rien, ça va passer ). Pris d'un doute, je finis par lui demander s'il ne serait pas Polonais par hasard, ce à quoi il me répondis que oui en un français parfait. Vu l'apparence de son âge, je lui demandai s'il n'aurait pas par hasard vécu à Varsovie en 1942, et si oui, quel était son témoignage de cette période à cet endroit... La discussion dura longtemps, le temps du voyage. L'homme nous emporta en pleine guerre, nous fit croiser les combattants de la révolte polonaise, nous décrit les Juifs des campgnes de l'Est de la Pologne, chassés de Russie après la première guerre mondiale et ne parlant pas le Polonais, entassés par les rafles et terrés dans un ghetto dans lequel ils ne comprenaient pas ce que disaient les Juifs chassés des quartiers de la ville, baragouinant un yiddish incompréhensible, et se précipitant presque sur les camions nazis qui les emportaient vers la mort. Il nous raconta l'impuissance des habitants de Varsovie à cacher les rescapés des rafles, son engagement dans la résistance polonaise, son voyage vers l'Angleterre, son combat au coté des alliés. Il était là à parler avec son accent, et moi j'avais dans les yeux les images de Lanzman, le manteau rouge de la petite fille du film de Spielberg, les cris des pilotes de la bataille d'Angleterre...

     Arrivé à Paris, il a fondu dans la masse des gens qui passent sur les quais, l'Anglaise, son mari et ses mômes ont disparu aussi, et quand j'ai pu m'asseoir dans la salle d'attente silencieuse de l'aéroport après avoir traîné mon violoncelle et ma valise, je me suis demandé longtemps si je n'avais pas rêvé. Je regardais les gens autour, en me demandant si une telle rencontre les aurait aussi boulversé. Quelques heures encore, et je retrouvais le confort de la cabine, le feulement de l'air sur la carlingue, et ce soleil qui n'en finirait pas de se coucher jusqu'à ce que les roues touchent le béton tropical, et nous baignent dans une moiteur orageuse, signe que les semaines passées étaient déjà du domaine des souvenirs.

    Mais là, maintenant, c'est le visage de cet homme qui prend la place de l'écran, son profil doux et agé qui se tourne vers la fenêtre et qui disparaît...