Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Histoires du comte d'Omer - Jour 14 : 11 avril 2021

Rends- Lui !

Le berger était revenu de l'Alpage. Il ne parlait plus. Il regardait chacun avec ses yeux plissés au milieu de son visage bronzé et plein de barbe, scrutant quelque chose dans les yeux des autres qu'on ne voyait pas. Les brebis étaient revenues belles et bien grasses, et le troupeau avait fait plus que doubler. Le Comte, bien-sûr le reçut pour le féliciter de son travail et le remercier pour la longue marche qu'il avait faite pour aller et pour revenir. Mais il s'interrogeait sur son attitude. Le berger rompit son silence de sage:

"Tu sais, not 'maître, ce troupeau c'est le tien, et moi je ne suis que ton berger. Je me contente de suivre les bêtes, et lorsque l'Alpage est conquis par les sentiers et les chemins, je me pose au refuge, et je médite dans le silence de la solitude. Et la solitude me donne la méditation. Et la méditation me porte dans les ciels, ces ciels qu'ici on ne connaît pas, parce que le silence n'y est pas assez fort.

Le retour de l'Alpage, c'est comme si je revenais avec l'oubli des Ciels. Là-haut Les anges m'accompagnaient, ils me murmuraient des louanges à Dieu qui me faisaient pleurer, et moi je ne savais que dire. Alors, au  retour dans la brume de la plaine, dans la tiédeur des prairies de l'adret, en suivant mes agneaux, je me demandais comment je pouvais rendre à Dieu tout ce qu'il m'avait donné tous ces jours.

Lui rendre, oui, parce que les anges me l'ont encore dit : tout est à Lui. Et alors je cherche dans vos yeux ce que le silence ne dit pas et que Dieu seul sait qu'il vous faut. Revenir de l'Alpage, c'est revenir dans le monde qui n'est plus celui de ma solitude, et tout ce que j'y ai reçu, il faut que je le donne. Ce n'est pas seulement les brebis, les agneaux, et même l'âne qui porte mes affaires. C'est aussi la lumière, l'éblouissement révélé d'aussi loin et la tendresse du Regard d'en haut.

Alors tu vois, not' maître, ces choses-là ça ne tient pas dans mes mains, c'est pas chaud comme un agneau dans mes bras, ce n'est qu'avec mes yeux et mon âme que je peux le rendre. Parce que si je retiens la joie que j'ai reçue, ça ne sert à rien qu'on me l'ait donnée. Tu peux prendre ma main et mon bâton, je te les donne, mais tout le reste je ne peux te le donner que si tu en as besoin, et si tu en as besoin, ce sont tes yeux qui me le diront. 

Oui, la solitude est source d'angoisses si je suis trop près de moi, trop près de mes petites affaires et de mes intérêts. Mais tu sais not' maitre, mon baluchon n'est pas bien gros, et alors mes angoisses sont limitées.

Et si sur mon chemin des yeux percent  mon âme et crient leur faim de recevoir un peu de tout ce que j'ai reçu, alors je le rends, et cela me protège de devenir triste si je ne retrouve pas la béatitude avant le prochain alpage." *

Le comte lui répondit, avec une grande douceur:

"Chaque fois que nous apportons quelque chose de notre âme dans la réalité du monde,  nous ne devons pas nous retenir: nous  rendons simplement au monde de l'Eternel une partie du bien qu'Il nous donne. La bonne abondance est là, et quand elle sort de nos mains ou de notre âme, c'est simplement parce que nous avons arrêté de la bloquer. Cette conscience s'appelle l'humilité, c'est le secret du comptage du Royaume.

Le roi David l'a démontré quand, à l'apogée de son règne, il a ramené l'Arche d'Alliance à Jérusalem, il a fréquenté  des  gens ordinaires, sans aucun sentiment d'arrogance ou de supériorité. Michal, sa femme, s’en est pris à lui pour cela, mais Il lui a simplement dit « J'étais petit  à mes yeux ». La raison pour laquelle les paroles de Michal n'ont pas renversé le roi David de "Igra Rama à Bira Amikata" ** est que pour lui, il était à Bira Amikata en premier lieu..."

 

* les paroles du roi David « car tout vient de toi Seigneur, même ce que nous t’offrons provient de ta main », ou dans la version des patriarches: « Donne à l'Eternel ce qui lui appartient , car tout ce que tu as lui appartient ».

**expression araméenne qui veut dire  "passer d’une haute terrasse à une fosse profonde", pour signifier la chute d’un haut rang à l’insignifiance...

Les commentaires sont fermés.