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soleil

  • De ces aubes qui transfigurent

     

    blackberry barbade 005.jpgVoici l'aube.

    Une comme tant d'autres. 21 900 pour être exact.

    Qu'est-ce qui pourrait bien lui donner une allure particulière, à celle-ci ?

    Si le calendrier n'existait pas, elle serait pareille à toutes les autres.

    Si je ne savais pas compter, elle serait aussi magique que celle d'hier.

    Et j'en ai vu sous toutes les latitudes, toutes les altitudes, toutes les longitudes.

     

    Celles du Désert du Sinaï qui enrobent le ciel des pourpres qui se déclinent doucement vers le jaune flamboyant du début du monde.

    Les aurores grises et profondes du nord, où le soleil passe derrière les nuages en boule blanche, discrète et froide, parfois miraculeusement traversées d'un arc-en-ciel surprenant.

    Les aurores enrobées de tintements de cloches et d'appels à la prière, sous le ciel purifié de Jérusalem.

    Les aurores bruyantes des déferlantes au large, au sel baptismal à la bouche comme une naissance lavée.

    Les aurores de solitude dans le silence du Sahara, avec le chuintement du vent à la dune, comme un appel à la sentinelle qu'aurait décrit Saint Exupéry.

     

    Et mes aurores tout autour de la Terre, enveloppé dans mon avion, à vingt mille mètres d'altitude, cap vers la lueur levante qui deviendra bientôt lumière fulgurante dans la stratosphère.

    Comment oublier les aurores des nuits d'amour, toutes brumeuses de la tendresse reçue, des gestes partagés, des danses de nos corps nus et glissants dans la moiteur de la nuit ?

    Et les aubes andines, quand le soleil apparaît dans un horizon improbable, à l'autre bout de la terre, dans des déclinés de couleurs fantastiques ?

     

    L'aube de ce matin traversait les feuilles luisantes de la pluie nocturne.

    Les grenouilles finissaient leur mélopée commencée au soir.

    Les perroquets traversaient le ciel gris de leur vol malhabile en criant.

    Je me sentais seul et pourtant tout était autour de moi comme une création renouvelée, comme une béatitude.

     

    Tous ceux que j'aime ont défilé dans mon esprit, ont partagé cet instant qui transfigure et mêle à notre vie les parfums des liens retrouvés. 

     

  • soleil d'hivers

    Le soleil cette fois-ci m'a suivi le long du ruban gris de l'autoroute, dans une course nouvelle entre deux villes endormies par l'hiver finissant. Hier, c'était les aurores répétées qui jouaient de ma mémoire.

    Ces levers de soleil pointant à l'horizon au loin du bord rond de ma planète, jaillissant dans la vitre de l'avion, au-dessus du monde, au dessus de tout, silencieux présage d'un jour nouveau, éveil d'une appartenance pesante à la gravitation. Mais là, il est loin aussi, mais de l'autre coté : il rougit en tombant dans un rideau de brumes horizontales, pendant que je surveille la route au devant, en suivant les lumières rouges qui bougent.

    Dans le poste, ils parlent de paysages qu'ils ne connaissent pas, mais que j'ai foulé de mes pieds longtemps avant eux: ils disent des mots de guerre, alors que j'avais marché jadis dans le sable du silence, et bu l'eau des puits avec la paix posée sur le visage des bédouins. Ils disent des présages atroces en parlant de peuples qu'ils n'ont jamais côtoyé, jamais aimé donc, alors forcément ils ne savent pas de quoi ils parlent.

    Ceux que j'ai connu sont peut être déjà morts, assassinés par les famines, rongés par des maladies inconnues, ou simplement sacrifiés au nom du droit de la force des autres. Et s'ils ne sont pas morts encore, alors je partagerai leurs prières dans les temps à venir, pour partager aussi l'eau qu'ils m'avaient offerte, le pain qu'ils avaient cuit pour moi, la tendresse que leur regard m'avait donné.

    Mais aujourd'hui, mon amour pour eux ne leur parviendra pas, sinon par les brouillards des songes qui commencent de hanter mes nuits.

    (c) 01-2003

  • Lettre de voyage transcontinental à un sédentaire

     

    DSC00526.JPGC'est pour toi, qui m'as demandé de te décrire le ciel, comme un voyage imaginaire que tu ne ferais jamais, que ces mots ont marqué les pages quadrillées d'un cahier d'écolier, dans un avion de nuit. C'est à toi que je pense quand mes doigts suivent les lettres sur le clavier, au moment de les recopier, et je ne peux me résoudre à croire que seuls tes yeux pourront les lire, sans que tu puisses les vivre un jour. Pas un jour ne passe sans que j'y pense... Alors voilà.

    " Il ne faut rien dire. La voix se perdrait dans la carlingue feutrée. Il fait nuit, et à part le bruissement sourd de l'air qui frotte à toute allure contre le métal, et le feulement des réacteurs plus loin derrière, rien ne vient troubler le voyage. Alors, pour tromper l'ennui, mettre le casque à fil et s'envoler encore plus haut, avec les voix de soprani et de ténors des opéras de Mozart, les flûtes de Vivaldi, les timbales de Mahler...

    la nuit est pure à travers les hublots, dans la cabine vide. Vide comme le ciel, vide d'un calme d'astronaute, vide tellement qu'on a envie de regarder plus haut encore, de se tordre le cou au-dessus du cockpit pour chercher une échappatoire surnaturelle, mais il n'y a rien que le noir et ces milliers de points lointains et blafards.

    Le voyage avait commencé dans la nuit. Alors la lune éclairait les nuées tropicales, en reflets sombres et moirés, et les nuages, poussés par un alizé tranquille, projetaient leur ombre lunaire sur la mer. Les îles avaient disparu juste après le décollage, et la mer, immense et infinie, avait commencé à apparaître, jusqu'à ce que les yeux se fatiguent de ne rien trouver dans cette monotonie, et se ferment, pour d'autres songes de voyages, jusqu'à ce que la lune, ronde et déchirée, disparaisse de l'horizon et laisse le noir de la nuit s'étendre sur tout le paysage. Et les étoiles étaient là, par milliers, et l'avion traversait tout cela comme un désert minéral, laissant ceux qui regardaient par les hublots ce spectacle aérien, hébétés et silencieux.

    Plus tard, quand la nuit aura passé, quand ce drôle de navire aura traversé le tunnel de l'obscurité, comme un Isis pharaonique qui emporte les âmes, le jour apparaîtra sur une banquise de nuages, rose d'abord, puis jaune, puis laiteuse.  Quand l'aurore violette puis mauve se déroule au loin devant l'appareil, les nuages prennent des teintes de fantômes, des irisations naissent et disparaissent au gré de la coloration changeante.  L'impression d'être nulle part. Le ciel vire au bleu pâle, et le soleil vient en face, aveuglant, blanc, minéral. De temps en temps une zébrure déchire le ciel, puis disparaît, montrant un autre avion, plus bas, tout petit dans l'immensité du ciel, pour une autre destination.

    Ici, point de limite entre le haut et le bas, de cette mer blanche de nuages amnésiques, point de souvenirs. Le trait d'union du voyage anesthésie la mémoire et laisse contemplatif des éléments qui nous entourent : le rien du vide, le rien de l'espace, et les points brillants des astres, et ce soleil puissant et pur, désormais libéré pour nos yeux des limites de nos regards de terriens. La voix de la suivante des noces de figaro ponctue de manière cristalline le spectacle entre le ciel et Mozart. Et les yeux s'attardent encore à admirer le vide. Comme un vaisseau aveugle, il avance, imperturbable, sans heurts, sans tourments, l'avion immense. Le plancher fait de nuages est interminable, toujours blanc, grumeleux, avec des dessins de tempêtes passées, des tourbillons gravés dans la masse de vapeur condensée. Des moutons serrés à n'en plus pouvoir, avec, çà et là, des grumeaux plus élevés qui donneraient l'illusion qu'ici aussi, il y aurait une dimension verticale, quelques collines, quelques montagnes.

    Voilà. L'avion va commencer à descendre. La mer  a laissé la place à un continent, sans que les nuages en indiquent un prémisse. Lentement l'appareil s'approche d'une destination qui sera terrestre, bruyante, sale, brumeuse, et le souvenir de cette plénitude de l'espace disparaîtra avec le sommeil et le repos. "

    (c) Pablo Robinson - 08/09/2000