Le soleil cette fois-ci m'a suivi le long du ruban gris de l'autoroute, dans une course nouvelle entre deux villes endormies par l'hiver finissant. Hier, c'était les aurores répétées qui jouaient de ma mémoire.
Ces levers de soleil pointant à l'horizon au loin du bord rond de ma planète, jaillissant dans la vitre de l'avion, au-dessus du monde, au dessus de tout, silencieux présage d'un jour nouveau, éveil d'une appartenance pesante à la gravitation. Mais là, il est loin aussi, mais de l'autre coté : il rougit en tombant dans un rideau de brumes horizontales, pendant que je surveille la route au devant, en suivant les lumières rouges qui bougent.
Dans le poste, ils parlent de paysages qu'ils ne connaissent pas, mais que j'ai foulé de mes pieds longtemps avant eux: ils disent des mots de guerre, alors que j'avais marché jadis dans le sable du silence, et bu l'eau des puits avec la paix posée sur le visage des bédouins. Ils disent des présages atroces en parlant de peuples qu'ils n'ont jamais côtoyé, jamais aimé donc, alors forcément ils ne savent pas de quoi ils parlent.
Ceux que j'ai connu sont peut être déjà morts, assassinés par les famines, rongés par des maladies inconnues, ou simplement sacrifiés au nom du droit de la force des autres. Et s'ils ne sont pas morts encore, alors je partagerai leurs prières dans les temps à venir, pour partager aussi l'eau qu'ils m'avaient offerte, le pain qu'ils avaient cuit pour moi, la tendresse que leur regard m'avait donné.
Mais aujourd'hui, mon amour pour eux ne leur parviendra pas, sinon par les brouillards des songes qui commencent de hanter mes nuits.
(c) 01-2003