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silence

  • la fille elfe ...

    L'eau coule, claire, au long du lit de la rivière. Des cristaux de lumière scintillent aux éblouissements solaires. Des feuilles d'or bruissent au vent de l'automne. L'air sent le frais, et l'odeur du bois parcourt les rives moussues.

    Elle s'est assise sur un grand galet de granit, après y avoir posé quelques feuilles sèches pour la délicatesse de son confort. Ses jambes menues et fuselées pendent vers l'onde, et ses pieds touchent l'eau. Elle a replié ses ailes diaphanes, comme un châle sur ses épaules. Elle regarde la course de l'eau, elle se fascine à découvrir les traits sombres des poissons qui filent entre les rochers.

    Elle a posé ses mains sur ses cuisses, comme un appui doux pour se pencher, en forme d'interrogation, comme pour questionner l'eau... Puis, sans doute à force de sentir un regard sur elle, elle tourne sa tête de chaque coté, cherchant sous les frondaisons celui qui l'épie, devinant une forme de visage derrière un buisson de houx ou devinant un craquement de branche morte dans la forêt alentour. Mais non, elle ne me sait pas ici. Avec un dernier regard frissonnant vers le ciel, elle reprend son observation. Le petit martin pécheur qui surveillait le courant jette un "pîîîp" de connivence, puis sautille sur un autre observatoire. Elle a ramené ses bras à toucher ses épaules, enfermant de petits seins naissants dans un nid de chaleur retrouvée, pour faire obstacle à la fraîcheur de la rivière. Elle s'est recroquevillée sur le lit de feuilles. Elle reste là, pensive...

    Le bruit de la forêt semble devenir assourdissant, tant le silence occupe l'espace. Le temps ne compte plus, une éternité s'installe. Et là, quand la torpeur du lieu a fini d'engourdir les sens, une voix flûtée s'élève, douce et puissante à la fois. Elle chante. Une ballade gaélique apprise depuis de longues années, avec ses particulières notes, ses trilles serrées, son refrain si doux...

    Elle raconte l'aventure d’une Elfe comme elle, si fragile et si seule, oubliée par les temps dans une forêt immense. Elle chante ses espérances et ses prières, ses douleurs de vivre sans personne à qui parler. Elle raconte une lente mélopée, aux accords d'une harpe, de ces temps où les elfes pouvaient mourir d'amour, rien qu'au parfum d'une rose, un temps où les bois étaient aux mains des hommes, quand les elfes se terraient en des lieux maudits, en attendant l'avènement du soleil, le retour des oiseaux, en attendant la paix.

    (Pour Wind ...)

  • Ne dis rien...

    1357982265.jpg Tu as voulu le silence, comme un renoncement à nous, comme un rejet de voix partagées. Entre parler et se parler, entre aimer s'aimer et maudire, entre jaser , ironiser et gémir. Soit. je me tais. Outre la parole, il reste le regard, le toucher. Mais de ces sens là, tu n'en veux plus non plus.

    On se croise comme des indifférences.

    On s'endort dos à dos avec le croire de l'inconsistance de l'autre, qui pourtant est  bien là, remuant dans son sommeil comme un animal blessé et endormi, mais qui n'accepte ni compassion ni tendresse. Les douleurs de l'âme sont rudes, invisibles, intouchables.

    On se voit comme des fantômes, on vit en mécaniques qui fonctionnent sur l'inertie du temps: ouvrir le frigo, faire cuire quelque chose, manger en regardant le vide, laver son assiette et se forcer à repartir, au boulot ou ailleurs, n'importe où, pourvu qu'on échappe à la présence de l'autre, pourvu qu'on abandonne un miroir déformé, un autre soi qui n'est plus ce qu'on croyait être le reflet de soi, à soi, pour soi.

    Mais ce n'est pas la fin d'un amour. C'est une faim d'autre chose, une faim de vivre ce qu'on ne peut plus vivre, parce qu'on n'est plus ce qu'on croyait être définitivement, parce que nos hormones nous trahissent, parce que nos peaux se flétrissent, parce que nos fatigues ne sont plus les mêmes.

    Mais dans nos têtes, nous avons toujours vingt ans, avec en plus la peur de marcher à coté du vide, la peur que tout se casse, la peur de n'être plus deux ensemble mais deux côte à côte et indifférents à nous-mêmes. Cette peur immense qui donne envie de mourir, de tout arrêter tout de suite, tellement l'appel du vide est fort, tellement il serait plus facile de se laisser tomber, de se laisser aller.

    Une vie d'homme, une vie de femme, une vie de couple, des convergences difficiles que nous avons bravées, avec nos intelligences, avec nos poings, avec nos pleurs, et dont nous ne voyons rien de l'exemple qu'elles peuvent susciter, de l'admiration qui nous est inconnue, du respect qu'elles ont imposé à d'autres qui ne sauront jamais nous les dire, qui ne peuvent pas les exprimer.

    Mon amour n'est pas un amour de la peur du vide, il n'est pas la continuité du cumul de nos présences, il n'est pas défini comme une somme de sacrifices durement accumulés que je refuserais d'abandonner, car ils auraient été vains, puisque ils auraient été incorporels et volatils. Mon amour est dur, plus intransigeant avec moi-même qu'avec n'importe qui, plus rigoureux aujourd'hui qu'il n'était hier. Parce que je me sens plus fragile, plus difficile à atteindre, plus difficile à séduire. Et si cet amour, conclu il y a si longtemps, et avec toute la légèreté de nos jeunesses, a tenu si longtemps, s'il nous a donné l'occasion de rendre tant de nos gestes sacrés, s'il est devenu pour nous ce fil si long que nous avons tiré ensemble, ce n'est peut-être pas pour qu'il se casse si facilement, au bouleversement de nos vies particulières, aux abandons irrémédiables de nos enfants, aux visions trop verticales de nos descendances.

    Alors, que ce soit en silence, que ce soit avec mes yeux, ou par un geste d'offrande pratique, qui est malheureusement un des seuls signes que la nature nous a donné pour codifier nos élans et nos scellements de serments, je te fais de moi la preuve de mon amour. Et je crois, dans ton silence, que tu ferais de même. Jusqu'au moment où nos orgueils auront été anéantis par nos raisons, jusqu'au moment où nous aurons basculé du sommet de nos égoïsmes pour tomber, pour un moment encore, dans le soulagement commun de nos vies duales, de nos rapprochements sécuritaires, de nos luttes communes contre ce qui nous divise.

    Et ce temps-là vient ...

     

    (c) Pablo Robinson- 04/2008