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  • l'odeur de la guerre

    bombe tranchée.jpgLéon. Les civils, ils n'ont pas idée de ce que c'est, l'odeur de la guerre. Au début, sur le front, ça me faisait vomir tout le temps, je pouvais rien avaler. Et puis la faim s'y est collée, l'a bien fallu manger quand même, la soupe froide et les fayots mal cuits.

     La terre, quand elle se fait violer par les obus qui la pénêtrent en profondeur sur 2 ou 3 mètres et qui explosent au milieu des pauvres types qui s'envolent avec de la mitraille plantée dans leur corps, elle lâche cette odeur de tripes fraîches, la même qu'on sent quand on vide les lapins à la ferme.

    Plus tard, dans la brume, à la nuit ou à l'aurore, d'autres odeurs viennent braver nos narines. Celles des cadavres qui se décomposent, qui se mélangent à celle de la poudre refroidie.

    Cette saloperie te colle à la peau, elle se met dans ta chemise comme une mauvaise maladie, et elle te brûle comme un feu. Après quelques jours, tu n'y penses plus, et, comme chez nous, elle t'accompagne comme les morpions qui ne vont pas tarder à te bouffer...

    Seule consolation: les alboches en face, ils endurent autant que nous, mais sans pinard. Ben voui, mon Léon, le pinard c'est ce qui nous sauve, comme le tafia qu'on nous fait boire avant l'assaut, bien à jeun pour qu'on soit saouls plus vite, pour qu'on ne sente plus rien, ni odeur ni douleur, ni compassion, ni pour nous-mêmes ni pour les autres ...

    Courage, frère d'arme, t'oublieras jamais ce moment-là, mais tu seras consolé, si on s'en sort, par ta petite femme chérie ...

    (Robinson, tranchées de la Somme, avril 1915)

    https://www.facebook.com/photo.php?fbid=164223900404108&set=a.151043021722196.1073741826.151041275055704&type=1#!/leon1914

     

  • la fille elfe ...

    L'eau coule, claire, au long du lit de la rivière. Des cristaux de lumière scintillent aux éblouissements solaires. Des feuilles d'or bruissent au vent de l'automne. L'air sent le frais, et l'odeur du bois parcourt les rives moussues.

    Elle s'est assise sur un grand galet de granit, après y avoir posé quelques feuilles sèches pour la délicatesse de son confort. Ses jambes menues et fuselées pendent vers l'onde, et ses pieds touchent l'eau. Elle a replié ses ailes diaphanes, comme un châle sur ses épaules. Elle regarde la course de l'eau, elle se fascine à découvrir les traits sombres des poissons qui filent entre les rochers.

    Elle a posé ses mains sur ses cuisses, comme un appui doux pour se pencher, en forme d'interrogation, comme pour questionner l'eau... Puis, sans doute à force de sentir un regard sur elle, elle tourne sa tête de chaque coté, cherchant sous les frondaisons celui qui l'épie, devinant une forme de visage derrière un buisson de houx ou devinant un craquement de branche morte dans la forêt alentour. Mais non, elle ne me sait pas ici. Avec un dernier regard frissonnant vers le ciel, elle reprend son observation. Le petit martin pécheur qui surveillait le courant jette un "pîîîp" de connivence, puis sautille sur un autre observatoire. Elle a ramené ses bras à toucher ses épaules, enfermant de petits seins naissants dans un nid de chaleur retrouvée, pour faire obstacle à la fraîcheur de la rivière. Elle s'est recroquevillée sur le lit de feuilles. Elle reste là, pensive...

    Le bruit de la forêt semble devenir assourdissant, tant le silence occupe l'espace. Le temps ne compte plus, une éternité s'installe. Et là, quand la torpeur du lieu a fini d'engourdir les sens, une voix flûtée s'élève, douce et puissante à la fois. Elle chante. Une ballade gaélique apprise depuis de longues années, avec ses particulières notes, ses trilles serrées, son refrain si doux...

    Elle raconte l'aventure d’une Elfe comme elle, si fragile et si seule, oubliée par les temps dans une forêt immense. Elle chante ses espérances et ses prières, ses douleurs de vivre sans personne à qui parler. Elle raconte une lente mélopée, aux accords d'une harpe, de ces temps où les elfes pouvaient mourir d'amour, rien qu'au parfum d'une rose, un temps où les bois étaient aux mains des hommes, quand les elfes se terraient en des lieux maudits, en attendant l'avènement du soleil, le retour des oiseaux, en attendant la paix.

    (Pour Wind ...)

  • Quand vient la nuit

    La nuit, je ne la vois pas. Quand je me lève, elle est encore là, et quand je m'écroule dans mon lit, elle n'a pas bougé. Je me concentre sur les écrans, je scrute, je cherche des machines, j'écris, je déchire, j'écris
    encore, puis je passe d'un logiciel à l'autre, je réponds au téléphone, les yeux rivés sur des écrans ...


    Riff Cohen ajoute ses mélopées yeménites en bruit de fond, en boucle. Cette voix de fille, rocailleuse et douce comme le désert me jette dans des songes instantanés au bord du wadi, où tout est encore vierge, où tout attend, comme une promesse de rêve, des visions d'oasis, d'ombres fraîches.

     Des fois je m'évade pour un rendez-vous, une course, comme si hors d'ici il n'y avait plus rien, alors que tout est plein de couleurs, de vie, d'odeurs. Je ne vois plus les heures passer, je mange comme un voleur de poules, je me surprends à sentir mon odeur de sueur, moi, si immobile, si statique ....