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Histoires du comte d'Omer - Jour 37: 4 mai2021

La tache de Yaacov

Le comte était invité à un dîner. Autour de lui, à cette grande table, il reconnut beaucoup de ses amis. Ils parlaient ensemble et devisaient sur les beautés de la création.

En face de lui, un homme chenu parlait peu, regardait les uns et les autres, répondant laconiquement aux questions qu’on lui posait. Le comte le regardait aussi sans lui parler. Le vieil homme s’appelait Yaacov. Il portait une chemise blanche comme tous les hommes qui étaient là, mais le comte remarqua qu’il y avait une petite tache sur sa chemise, et cette tache occupa tellement son esprit qu’il ne perçut rien d’autre de ce qui pouvait émaner de ce curieux bonhomme. Là s’arrêtait l’image mémorielle de ce dîner. Le comte rentra chez lui au milieu de la nuit, mais la tache l’empêchait de dormir. Il décida de mener son enquête, soupçonnant son voisin de table de n’être pas qu’une chemise avec une tâche dessus.

Le vieil homme avait plus de 80 ans. Après avoir traversé la deuxième guerre mondiale avec sa mère et son frère réfugiés, il avait quitté son Alsace natale et était allé rejoindre un kibboutz près de Tibériade, y avait trouvé compagne et fondé famille. Il avait travaillé pendant toute sa vie dans tous les domaines techniques agricoles, les machines, les moteurs, les engins agricoles. Passé l’âge du travail, il s’était plongé avec délices dans l’étude des Histoires du monde de celle de son pays, de celle de son peuple, et il ruminait dans son silence tout ce qu’il avait appris et continuait d’apprendre, en sorte que sa vision du monde, et de ce dîner en particulier avait dû le rendre perplexe. L’obsession du comte sur le détail insignifiant de son apparence avait dû lui faire penser que le comte n’avait pas encore compris ce que voulait dire la prière matinale qu’il récitait pourtant chaque jour: « vous ferez des franges à vos vêtements et vous les regarderez pour ne pas suivre les penchants de vos cœurs et de vos yeux auxquels vous aimez céder ».

« Evidemment ! s’écria le comte. Le penchant de mes yeux à voir cette tache, et l’aveuglement de mon cœur pour ne pas avoir compris tout ce que cet homme pouvait m’apprendre, alors qu’il m’aurait suffi de lui parler d’engrenages ou de la culture des avocats ou pour qu’il m’apprenne ce que je ne sais pas sur l’art de la paix dans un pays en guerre, ou sur la manière de supporter l’insupportable quand on est petit et faible… ».

Et le comte pleura sur la tache de Yaacov.

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