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Malko ouvrit les yeux -1-

Malko ouvrit les yeux et regarda la fenêtre, et, au-delà, la trace de lumière laiteuse qui diffusait par les rideaux, encore pâle du jour naissant. Il sentait la fraîcheur de la chambre mal chauffée, et la douceur tiède des draps, de son oreiller. Il referma les yeux avec une jouissance contenue de se pelotonner encore dans son lit. La chambre était vieillotte,  les murs étaient couverts d’un papier blanc qui avait été passé à la peinture à l’eau avec un balai, semble-t-il, et cela donnait une fausse allure pastel. La fenêtre fermait mal, il sentait un courant d’air traverser la pièce au-dessus de son visage, et cette sensation lui donnait encore plus de plaisir à s’étaler dans le tiède du lit. La lumière du jour ne changeait pas, et cela l’inquiéta. Il aimait que le soleil finisse par se montrer et trace un rai de lumière franche sur le mur d’en face. C’était alors pour lui le signe du réveil. Mais aujourd’hui, le soleil n’arrivait pas. Il se leva, en posant avec prudence les pieds sur le carrelage froid de la chambre, en remontant le caleçon noir de son kimono. Il avait beau scruter, écarter les rideaux, il ne voyait ni la rue ni la place. Le brouillard avait envahi le village, et il ne distinguait rien.
Il s’était installé dans la vieille maison de son père, en utilisant une des chambres abandonnées depuis plus de vingt ans. Un méchant interrupteur en porcelaine lui donnait la lumière électrique depuis un abat jour couvert de papier taché de chiures de mouches, et l’ampoule transparente laissait voir le filament incandescent. Cela lui rappelait son enfance, lorsqu’il était tout petit et qu’il regardait une ampoule analogue à celle là, hypnotisé par la lumière au fond de son petit lit à barreaux. Il se souvenait très précisément de cette image, et cela le bouleversait. Il se retourna pour mieux voir ce qui faisait son environnement : le lit fait d’un sommier de planches jaunes et mal dégrossies et d’un matelas ancestral, fait sans doute d’un mélange de crin de cheval et de laine, comme on les faisait au début du vingtième siècle, un lit au fond dur, mais bienfaisant par la chaleur rendue. Les draps étaient encore ceux de l’ancien temps, tissés à la main, lourds et souples, et la couverture avait dû être récupérée à la fin de la guerre, car on pouvait encore lire l’inscription « US RED CROSS » en travers de la trame de laine brune. Près du lit, une table de toilette avec sa vasque en terre émaillée enjolivée de fleurs bleues, et le broc à eau posé à coté. Malko trouvait un certain charme à se débarbouiller là en sortant de son lit, même s’il affectionnait de se doucher en se levant. Mais là, la salle de bain était en bas, et le silence de la maison ne lui donnait pas envie de descendre tout de suite. Il écouta les bruits assourdis par le brouillard. De temps en temps, une voiture passait, en laissant autour d’elle le seul bruit des pneumatiques sur les pavés de la rue, vite avalé par  la cécité laiteuse. Au loin, des sonneries de cloches marquaient au feutré du silence que les églises annonçaient les messes. La gouvernante qui habitait en bas avait déjà dû partir.

Il finit par se lever avec un soupir, mit la veste du kimono qui lui servait de pyjama, prit ses affaires et sortit pour descendre vers la salle de bains. L’escalier en pierre était gelé, et il descendit sur la pointe des pieds. Une odeur de café froid et de cendres montait par le couloir, en bas. Il ouvrit la porte de la salle d’eau, la referma en bloquant la serrure avec une chaise. Avant de se déshabiller, il fit couler l’eau chaude, qui ne tarda pas à venir, et il commença à remplir le vieux tub en tôle avec un broc en émail jaune. La pièce se remplit rapidement de vapeur, et la température monta assez pour qu’il se sente bien. La fenêtre qui donnait sur la cour avait des rideaux qui avaient dû être blanc un jour, des dentelles de coton à petits points, qui laissaient passer la lueur que le brouillard du dehors voulait bien abandonner à sa vue. Malko  se déshabilla, posa un pied dans l’eau chaude, puis un autre, et commença à s’arroser en prenant la coupole en cuivre qu’il remplissait d’eau et faisait couler sur son visage, puis dans son dos, puis sur ses bras, son corps. Il y avait sur une étagère une savonnette neuve, encore emballée dans du papier soufré. Il tendit le bras, en ouvrit l’emballage et la sentit longuement. Elle avait un parfum où se mêlaient la lavande et l’amande. Il frotta la savonnette sur l’éponge naturelle qu’il avait trouvé en arrivant, et se lava, attentif à regarder le blanc aveugle de la fenêtre, de peur d’être surpris  par un regard de fantôme qui apparaîtrait d’un  coup derrière le carreau. Après s’être frotté et lavé, il refit couler l’eau sur son corps aussi longtemps qu’elle était encore tiède. La chaleur de son corps provoquait des volutes de vapeur par-dessus la chair de poule que provoquait le froid de la pièce. Il sortit du tub, jeta la grande serviette au sol sous la glace, et entreprit de se regarder du haut en bas. Toujours nu, il se brossa les dents en continuant à se regarder, indifférent maintenant à l’air glacé de la salle d’eau, au mouvement de son corps qui accompagnait le mouvement de son bras et de la brosse à dent. Il avait vu dans un film américain, « Platoon », croyait-il se souvenir, qu’il fallait brosser ses dents pendant au moins trois minutes pour que le fluor puisse pénétrer dans l’émail et durcir les dents. Alors Malko se lavait les dents en lorgnant de temps en temps sur la montre qu’il avait posé sur la tablette en marbre de la salle de bains. Lorsqu’il eut fini son manège, il se coiffa, en prenant soin de rabattre ses cheveux en arrière, puis il s’habilla sans hâte, se chaussa en forçant dans ses chaussures, qu’il détestait délacer. La pièce sentait maintenant la lavande, les murs et les vitres ruisselaient de vapeur condensée. Il ouvrit la porte et monta avec son kimono plié sous le bras, fit son lit et redescendit pour déjeuner.

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