Le vent s'est levé, froid, agressif. Il fait trembler la toile de la yourte, j'ai l'impression de vivre dans un bateau... Ce matin, les filles bédouines ont accompagné les troupeaux autour de mon champ de vision. Sous les robes longues et noires, et derrière leur voile qui dérobe leur yeux à la vue, je devine des silhouettes fines et altières, habituées à marcher tout le jour. Je m'évade un instant dans un univers sans histoire, revenant au temps des fils d'Israel, aux troupeaux de Laban, aux pérégrinations nomades qui ont passé par ici trois mille ans avant moi. Elles se sont assises sur le dos d'une dune, elles rassemblent un peu de bois et sortent de leur sac une casserole, font du café. Je les observe de loin tapi derrière ma fenêtre avec mes jumelles. Elles se parlent mais je n'entends rien. Elles ont des gestes gracieux pour se montrer avec les mains ce que les mots ne peuvent pas dire, on dirait des chorégraphies délicates qui jouent avec le vent, une danse minuscule au milieu des agneaux qui les entourent... le rêve s'évanouit d'un coup: elles ont des chaussures Nike et elles ont sorti leur portable ...
Loin d'ici, dans un hôpital inconnu, un ami vit ses derniers instants. Seul son fils l'accompagne et reste près de lui. Les sédatifs l'ont déjà arraché à la conscience et seule son âme pourrait sentir que nous sommes tous à ses cotés pour ce voyage. Le vent s'apaisera un moment lorsqu'il mourra, ce sera le signe, peut-être, pour me rappeler que nos vies sont éphémères mais précieuses, et nos âmes sensibles aux autres.
Voilà, le soleil a disparu, il laisse un ciel blafard. Il doit y avoir un mariage bédouin au loin, des bribes de musique arrivent jusqu'ici, comme des lambeaux de bonheur que le vent transporte et parsème avec le sable. J'ai regardé les fleurs qui persistent à résister dans la rocaille, elles sont belles, humbles et vaillantes, elles feront avec audace les graines pour l'année prochaine que le sable cachera des chaleurs et de la sécheresse...