Le sable mouillé et noir de l’île me gratte les pieds. Un crabe minuscule joue de ses pattes, pendant que je regarde l’horizon, le dos contre l’écorce du cocotier, la main en visière. Je scrute l’éventualité d’un mât au loin, le jet de vapeur d’une baleine, le saut d’un dauphin, une sirène qui viendrait s’échouer peut-être là, juste pour moi. Lena* me trotte dans la tête sans me lâcher, avec ce mot là, JUSTE .. Et quand je me suis assoupi, lassé de faire la sentinelle, elle me dit dans mon rêve :
« ils construiront un monde de justesse et de justice, de sagesse et de sérénité... tu te souviens ? » Oui, je me rappelle. Mais la justesse et la justice, hein, c’est pas marrant. La justesse des gestes et celle des mots, c’est si difficile, on est si peu sûr d’avoir le tact qu’il faut pour tenter la vérité sans blesser, pour convaincre sans ordonner, pour servir sans obliger. Quant à la justice ! Les évènements de l’année reviennent à ma mémoire, si plein de troubles, si plein de peine…
« Etre juste, c’est mettre devant soi ce qu’on est, le poser devant l’autre, et mettre entre les deux des points de droit, des équilibres, pour que rien ne penche, pour que rien ne chute, de soi ou de l’autre. La justesse procède de ce fil qui relie le monde de chacun au monde des autres. Juste tu es si tu acceptes autant que ce que tu donnes, sans croire que l’offrande fait de toi un vassal. Juste tu es si tu retiens la haine jusqu’à comprendre les gestes de l’autre, si tu gardes dans le silence les plaintes de ton cœur malgré l’injustice, si tu tais tes convictions de juge, si tu recherches avec d’autres la vérité des faits, le sens de leur cause, et finalement si tu rends aux victimes leur droit à la justice.
Recueillir celui qui est abandonné, défendre celui qui frappe à ta porte et que d’autres ont chassé, protéger le droit à vivre , le droit au rire, combattre l’indifférence, la tête haute avec la fierté d’être humain, d’être solidaire : cette justesse là te donne la force d’aimer.
Retiens le regard de celle qui te cherche dans la foule, car elle a vu dans tes yeux ce qui pourrait apporter le contrepoids de son malheur, comme tu compenses par tes regrets les fautes qui pèsent sur ton coeur. Ainsi tu comprends : tout acte dans l’univers participe de l’équilibre de chaque chose, pour que tout soit juste, de cette justice de vie, de cette justesse des hommes, en harmonie autour de toi… C’est cela que je te souhaite, jusqu’à mon prochain retour… »
Pablo Robinson