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  • la mort du tyran

     Je pensais à Jamillah (voir les LCE, Jamillah) ce matin, à ses yeux verts restés magnifiques dans ma mémoire. En écoutant la radio et les infos qui annoncent l'éxécution de Saddam Hussein, me reviennent les images des Kurdes de Haj Humran ou de Salahaddin, les bergers de Swara Tuka et leurs flûtes doubles en roseau, collées avec du bitume ramassé sur les lèvres des champs de pétrole de Kirkouk, les femmes aux habits colorés qui ramenaient le bois mort récolté le long de la rivière. Je me dis que la plupart d'entre eux ont disparu maintenant, gazés par les bombes chimiques de Saddam, et que je suis peut être le seul à conserver des images en souvenir de ces pauvres gens. Ce qui est définitivement absurde dans la mort, c'est d'y perdre les bonheurs qu'on a perçu dans la vie, notre incapacité à retenir cette énergie fugace qui domine toutes nos volontés et qui fait de nos souvenirs des endroits de regrets, des points de résilience ou des cordes de nostalgie auxquelles on s'attache parfois pour ne pas sombrer...

     

    Il est deux heures du matin à Bagdad, et celui qui fut un monstre redevient un enfant et se surprend à croire aux fées, au père noel, à la grâce divine, à Mickey et aux personnages de Wald Disney. Il se passe fréquemment la main sur le cou, et ses doigts ne rencontrent que sa peau rapeuse et mal rasée. Quelquefois il pleure en silence, en se demandant comment il en est arrivé là. Encore quelques heures, et dans un brouillard de somnolence, de faiblesse et de fatalité, il sortira au petit matin dans la cour de la prison, montera hébété sur les marches de bois, d'un bois frais cloué à la hâte pendant la nuit, sans que personne ne puisse être là, sinon des bourreaux anonymes, des caméras braquées avec leur petite lumières rouges allumées. Un imam dira une prière, puis le sol se dérobera d'un coup, comme une balle traverse la nuque, comme un poison entre dans les poumons, comme une bombe éclate, comme tous ceux dont il a pris la vie, avec violence ou avec patience, tous ceux qui l'attendent dans le grand rien, il s'étirera jusqu'à la brisure de son cou, jusqu'au tremblement ultime, et nous regarderons en silence l'homme mourir et le tyran disparaître, en silence encore après la mort, recueillis non pas au souvenir de sa vie, mais à celle de ceux  dont il aura été le destructeur, l'oméga sans but, les poings fermés dans les poches, avec une grande douleur dans le coeur, pour tourner une page douloureuse d'un livre qui n'est pas fini...

     

    (c) Pablo Robinson-12/2006

  • D comme dépression

    Il en est mon frère de la dépression comme d’un long voyage. Marcher sans arrêt, un pas après l’autre, pendant des années, suivre des routes qui ne sont pas nôtres, des chemins de traverse obligés, longtemps suivis par des temps concentrés, des temps d’amour et des temps de haine, des chemins de nuages, où la terre est sentie, mais où elle n’est pas vue, des pas en aveugle avec la main tendue vers un inconnu qui nous guide là où l’on ne connaît pas.

    Puis peu à peu le corps s’essouffle, l’esprit n’est plus là. l’on se prend de lassitude à force de marcher ainsi sans connaître la route, à perdre l’horizon d’un paysage sans brouillard, on se lasse de tout. Encore des pas à poser sur un sol sans nom, des ornières boueuses à longer sans faillir: puis vient la première chute.

    Et d’un coup, les émotions te noient, tout devient trop dur, un geste de compassion, un regard de pitié, un rire dans le dos et la foule qui passe, lente et dense, imprécise et silencieuse. Les larmes qui montent à chaque honte sentie, à chaque trahison de ces nerfs qui lâchent. Des rages sourdes de violences contre soi, de menaces internes pour croire qu’on va vaincre, des batailles perdues à vouloir se parfaire.

    Ce long chemin d’une pente aride, à comprendre enfin que l’esprit est infirme, qu’il faut marcher humble, à petits pas comptés, accepter de soi la limite du temps, un pas après l’autre, une main en avant, sans orgueil pour monter un peu, et sortir de ce trou. Et ainsi apprendre du temps la maîtrise du corps.

    Un matin le soleil ne se lève pas pareil. Il est un peu plus jaune, un peu plus chaud, un peu plus prés: les pas de chaque brassée de volonté sont un peu plus sûrs, un sourire s’esquisse quand l’esprit se libère, et arrive un peu de guérison, un peu de vaillance retrouvée. Mais le temps a passé, et le combat a duré. Il reste des forces à quérir encore pour se sentir à nouveau homme, aspirant pour sa force les forces d’alentour, laissant à d’autres de perdre à leur tour la quiétude de soi.

    Ce combat-là, mon frère, si tu le gagnes, il fait de toi un homme, plus humble que les saints, plus fort que les puissants, plus pur que les enfants...

    (c) Pablo Robinson 12/2006

  • lettre d'un innommable à un trou du cul

    Monsieur le trou du cul.



    Vous ne m'en voudrez pas d'attacher un tel adjectif à votre identité, mais eu égard à la consistance et à l'odeur de ce qui sort de votre bouche, je ne vois pas, de ma part d'innommable, d'autre nom à vous affubler.

    Je suis né de Blancs, comme vous le dîtes. Leur origine pourrait être Africaine ou autre, mais puisque vous avez ajouté le mot blanc en balance au mot Africain, je vous prends au mot, et je découvre avec vous que les Blancs ont une origine géographique au même titre que les Africains, lesquels, pourtant, ont des couleurs de peau multiples et des coutumes ou des habitudes sociales diverses dont l'origine ne saurait être liée à la couleur noire, mais bien à des histoires et des légendes à la hauteur de ce qui fait notre monde. Et de ces couleurs de peau, je me fous royalement, sachant que puis l'aube de l'humanité, la sexualité reproductrice de la gent humaine s'est depuis longtemps débarrassée de ce détail pour préserver l'espèce, ce qui prouve encore plus que la peau n'est pas affaire de race, mais de contexte génétique dont le code n'est en rien discriminatoire pour en faire une nouvelle génération.

    Donc, foin de votre racisme au vitriol, vous êtes vous même le fruit d'utéri successifs dont personne n'a à déterminer la couleur, du moment que vous avez une identité humaine, à la nuance près que si les autres fruits humains se comportent comme tels, vous, vous semblez renier tout ce qu'il y a de plus beau et de plus pur dans l'humanité: l'amour, la solidarité et  la tolérance.

    Je n'étais pas innommable à ma naissance, mais j'en ai pris la couleur et le caractère. Non seulement en frottant ma carcasse aux soucis de la Vie, mais aussi en pélerinant autour du monde, et -nous y voilà-, particulièrement en Afrique et au Moyen Orient. J'ai pu traverser dans mon espace-temps des confrontations africaines où les massacres se faisaient  à la machette ou au marteau de soudeur  (coté pointu d'un coup sec à l'arrière du crâne), ou encore par des bombardements irakiens sur les populations kurdes, laissant des milliers de morts empoisonnés, ou encore aujourd'hui, par des festins de guérillas dont les victimes pourraient être nos cousines germaines mutuelles, le Darfour étant considéré par les plus éminents paléontologues comme étant le berceau de l'humanité, dont vous et moi ne sommes que les pâles rejetons.

    Il y a quelques années, lors d'un voyage pour le moins touristique en Palestine-Israël ou Israël-Palestine (on ne saura pas le vrai nom de notre vivant, n'est ce pas ?), j'ai visité un mémorial (Yad Washem) consacré aux victimes du nazisme, et je pris ce jour là une grosse baffe dans ma figure de nommable, en découvrant que 160 personnes portant mon nom avaient été avalée par le Moloch Baal nazi, et depuis ce temps erraient sous forme gazeuse autour de notre planète (la vôtre et la mienne).

    Du coup, sans y chercher une "histoire" ou un "prétexte", je me suis mis une peau d'innommable sur le dos, espérant avec ce manteau de gloire et de force, pouvoir comprendre de l'intérieur comment on fait pour vivre dans un monde fait de rejet et de haine. Comprendre que le but ultime de nos vies n'est pas dans nos vies, mais ailleurs et plus tard. Employer nos forces pour gravir avec intelligence les degrés difficiles de la vie sociale, en cherchant une place utile dans les puzzles de la société, en y puisant les ressources nécessaire pour y survivre et s'y faire reconnaître et, comme les alchimistes autrefois, y apporter en échange équivalent les biens et les services que ladite société est susceptible d'attendre de soi.

    Je n'aurais rien d'autre à ajouter, convaincu dans tous les cas, qu'à moins d'un miracle bien catholique, je doute de changer votre vision de la vie et votre approche de l'humanité, sachant que vous préférerez toujours ceux qui se remplissent les poches à dire du mal des autres à ceux qui se les vident pour les aimer (les autres). Si vous pouviez vomir vos récents propos, vous auriez l'occasion de faire le voyage inverse à celui qui vous a amené à être si près de votre sortie, et ainsi redonner à votre bouche une place de choix au milieu d'un visage d'humain.

    Pablo Robinson (c) 12/2006